Déixis : Différence entre versions

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Le terme de ''déixis'' désigne tout recours à la situation de communication. L’énoncé « Je veux manger tout de suite » fait par exemple référence à la personne qui parle (avec le ''déictique'' « je ») et à l’instant de l’énonciation (avec « tout de suite »), et ne s’interprète par conséquent que dans la situation dans laquelle il a été prononcé. Dans l’énoncé « je veux manger dans ce restaurant », c’est l’association d’un geste de désignation avec le groupe nominal démonstratif « ce restaurant » qui constitue une forme de déixis. Un tel geste est d’ailleurs appelé ''geste déictique'' (ou encore ''geste ostensif''), et une telle association ''référence ostensive''. Ce dernier terme recouvre tout phénomène de référence impliquant une ostension, que cette ostension soit effectuée par un geste, un signe de la tête ou la direction du regard.
 
Le terme de ''déixis'' désigne tout recours à la situation de communication. L’énoncé « Je veux manger tout de suite » fait par exemple référence à la personne qui parle (avec le ''déictique'' « je ») et à l’instant de l’énonciation (avec « tout de suite »), et ne s’interprète par conséquent que dans la situation dans laquelle il a été prononcé. Dans l’énoncé « je veux manger dans ce restaurant », c’est l’association d’un geste de désignation avec le groupe nominal démonstratif « ce restaurant » qui constitue une forme de déixis. Un tel geste est d’ailleurs appelé ''geste déictique'' (ou encore ''geste ostensif''), et une telle association ''référence ostensive''. Ce dernier terme recouvre tout phénomène de référence impliquant une ostension, que cette ostension soit effectuée par un geste, un signe de la tête ou la direction du regard.
  
Les formes de déixis les plus courantes sont la ''déixis de personne'', la ''déixis spatiale'' et la ''déixis temporelle''. La première consiste en une référence à la personne qui parle ou aux personnes en présence au moment de l’énonciation. Elle se matérialise (on dit aussi ''se grammaticalise'') avec les ''déictiques de personne'' tels que « je » et « tu ». Lorsque des conventions sociales s’appliquent, avec par exemple le vouvoiement en français, on parle de ''déixis sociale'', terme qui dénote la façon dont les statuts sociaux se reflètent dans les mots utilisés. Plus précisément, on parle de ''déixis sociale relationnelle'' pour les exemples du tutoiement et du vouvoiement qui dépendent des relations sociales entre les deux interlocuteurs, et de ''déixis sociale absolue'' pour des exemples tels que « Sa Majesté » ou « Monsieur le président », où seul le statut de l’interlocuteur compte. Deuxièmement, la déixis spatiale consiste en une référence à un élément visible du lieu de l’énonciation, éventuellement au lieu même de l’énonciation. Elle se matérialise avec les ''déictiques de lieu'' tels que « ici » et « là ». Lorsqu’un contraste entre une proximité immédiate et un espace plus distant est nécessaire, on peut exploiter les ''marqueurs déictiques'' (respectivement « -ci » et « -là ») qui apparaissent en particulier dans les pronoms démonstratifs « celui-ci » et « celui-là », et qui sont susceptibles d’apparaître dans n’importe quel groupe nominal démonstratif : « cet objet-ci », « cet objet-là ». Troisièmement, la déixis temporelle consiste en une référence au moment de l’énonciation, ou à moment qui lui est déterminé relativement. Elle se matérialise avec les ''déictiques de temps'' tels que « maintenant », « hier » et « tout de suite ». Pour chacune de ces trois formes de déixis, un geste peut renforcer l’ancrage dans le contexte d’énonciation. Le geste déictique reste cependant le plus utile à la déixis spatiale, lorsqu’il concourre à l’identification d’un référent parmi plusieurs candidats possibles. C’est le cas de l’association de l’expression référentielle « ce restaurant » avec un geste désignant un restaurant précis dans une rue qui en comporte plusieurs.
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Les formes de déixis les plus courantes sont la ''déixis de personne'', la ''déixis spatiale'' et la ''déixis temporelle''. La première consiste en une référence à la personne qui parle ou aux personnes en présence au moment de l’énonciation. Elle se matérialise (on dit aussi ''se grammaticalise'') avec les ''déictiques de personne'' tels que « je » et « tu ». Lorsque des conventions sociales s’appliquent, avec par exemple le vouvoiement en français, on parle de ''déixis sociale'', terme qui dénote la façon dont les statuts sociaux se reflètent dans les mots utilisés. Plus précisément, on parle de ''déixis sociale relationnelle'' pour les exemples du tutoiement et du vouvoiement qui dépendent des relations sociales entre les deux interlocuteurs, et de ''déixis sociale absolue'' pour des exemples tels que « Sa Majesté » ou « Monsieur le président », où seul le statut de l’interlocuteur compte. Deuxièmement, la déixis spatiale consiste en une référence à un élément visible du lieu de l’énonciation, éventuellement au lieu même de l’énonciation. Elle se matérialise avec les ''déictiques de lieu'' tels que « ici » et « là ». Lorsqu’un contraste entre une proximité immédiate et un espace plus distant est nécessaire, on peut exploiter les ''marqueurs déictiques'' (respectivement « -ci » et « -là ») qui apparaissent en particulier dans les pronoms démonstratifs « celui-ci » et « celui-là », et qui sont susceptibles d’apparaître dans n’importe quel groupe nominal démonstratif : « cet objet-ci », « cet objet-là ». Troisièmement, la déixis temporelle consiste en une référence au moment de l’énonciation, ou à un moment qui lui est déterminé relativement. Elle se matérialise avec les ''déictiques de temps'' tels que « maintenant », « hier » et « tout de suite ». Pour chacune de ces trois formes de déixis, un geste peut renforcer l’ancrage dans le contexte d’énonciation. Le geste déictique reste cependant le plus utile à la déixis spatiale, lorsqu’il concourre à l’identification d’un référent parmi plusieurs candidats possibles. C’est le cas de l’association de l’expression référentielle « ce restaurant » avec un geste désignant un restaurant précis dans une rue qui en comporte plusieurs.
  
 
Plus précisément sur l’intervention du geste dans la déixis spatiale, nous noterons que le geste ne désigne pas toujours le référent, mais constitue plutôt un point de départ pour son identification. C’est le cas lorsque l’imprécision inhérente au geste déictique ne permet pas de différencier la désignation d’un objet de la désignation du groupe d’objets visible dans la direction indiquée (ou encore de l’objet perturbateur qui cache la véritable cible). C’est le cas également avec un énoncé tel que « j’aime bien ces fauteuils », énoncé qui, associé à un geste désignant un fauteuil bien particulier, peut s’interpréter comme « j’aime bien les fauteuils de ce type » et référer ainsi à une classe d’objets. Pour rendre compte de ces phénomènes de décalage, nous parlerons de ''demonstratum'' (parfois appelé ''index'') pour l’entité désignée par le geste déictique, et nous garderons le terme de référent pour l’entité du discours. Quant au décalage lui-même, les anglophones le désignent depuis les travaux de Quine par le terme de ''deferred ostension'', ou encore de ''deferred reference''. En français, on peut parler de ''référence ostensive indirecte'' ou encore d’''ostension non coréférente'', la coréférence caractérisant le fait qu’il y a identité entre demonstratum et référent. Comme autres exemples d’ostensions indirectes, nous retiendrons celui de Kleiber (« il avait une grosse tête »), où le demonstratum est un chapeau et où le référent est l’homme qui a porté ce chapeau, ainsi que les exemples de polysémie tels que « ne lis pas ce livre », où le demonstratum est le livre en tant qu’exemplaire physique, et où le référent est le livre en tant que contenu. On peut ajouter les phénomènes particuliers de métonymie, avec un énoncé tel que « ce Bordeaux est meilleur que celui-ci », où les deux gestes déictiques désignent soit des verres soit directement des vins, mais en aucun cas la ville de Bordeaux. Enfin, un autre cas particulier est celui du référent immatériel, par exemple la référence ostensive à un trou comme dans l’énoncé « il faut boucher ce trou », où le geste indique du vide et où le référent ne se définit que par ses bords (qui justement ne sont pas désignés par le geste).
 
Plus précisément sur l’intervention du geste dans la déixis spatiale, nous noterons que le geste ne désigne pas toujours le référent, mais constitue plutôt un point de départ pour son identification. C’est le cas lorsque l’imprécision inhérente au geste déictique ne permet pas de différencier la désignation d’un objet de la désignation du groupe d’objets visible dans la direction indiquée (ou encore de l’objet perturbateur qui cache la véritable cible). C’est le cas également avec un énoncé tel que « j’aime bien ces fauteuils », énoncé qui, associé à un geste désignant un fauteuil bien particulier, peut s’interpréter comme « j’aime bien les fauteuils de ce type » et référer ainsi à une classe d’objets. Pour rendre compte de ces phénomènes de décalage, nous parlerons de ''demonstratum'' (parfois appelé ''index'') pour l’entité désignée par le geste déictique, et nous garderons le terme de référent pour l’entité du discours. Quant au décalage lui-même, les anglophones le désignent depuis les travaux de Quine par le terme de ''deferred ostension'', ou encore de ''deferred reference''. En français, on peut parler de ''référence ostensive indirecte'' ou encore d’''ostension non coréférente'', la coréférence caractérisant le fait qu’il y a identité entre demonstratum et référent. Comme autres exemples d’ostensions indirectes, nous retiendrons celui de Kleiber (« il avait une grosse tête »), où le demonstratum est un chapeau et où le référent est l’homme qui a porté ce chapeau, ainsi que les exemples de polysémie tels que « ne lis pas ce livre », où le demonstratum est le livre en tant qu’exemplaire physique, et où le référent est le livre en tant que contenu. On peut ajouter les phénomènes particuliers de métonymie, avec un énoncé tel que « ce Bordeaux est meilleur que celui-ci », où les deux gestes déictiques désignent soit des verres soit directement des vins, mais en aucun cas la ville de Bordeaux. Enfin, un autre cas particulier est celui du référent immatériel, par exemple la référence ostensive à un trou comme dans l’énoncé « il faut boucher ce trou », où le geste indique du vide et où le référent ne se définit que par ses bords (qui justement ne sont pas désignés par le geste).

Version actuelle datée du 9 mai 2006 à 15:39


par Frédéric Landragin


Définitions et phénomènes

Le terme de déixis désigne tout recours à la situation de communication. L’énoncé « Je veux manger tout de suite » fait par exemple référence à la personne qui parle (avec le déictique « je ») et à l’instant de l’énonciation (avec « tout de suite »), et ne s’interprète par conséquent que dans la situation dans laquelle il a été prononcé. Dans l’énoncé « je veux manger dans ce restaurant », c’est l’association d’un geste de désignation avec le groupe nominal démonstratif « ce restaurant » qui constitue une forme de déixis. Un tel geste est d’ailleurs appelé geste déictique (ou encore geste ostensif), et une telle association référence ostensive. Ce dernier terme recouvre tout phénomène de référence impliquant une ostension, que cette ostension soit effectuée par un geste, un signe de la tête ou la direction du regard.

Les formes de déixis les plus courantes sont la déixis de personne, la déixis spatiale et la déixis temporelle. La première consiste en une référence à la personne qui parle ou aux personnes en présence au moment de l’énonciation. Elle se matérialise (on dit aussi se grammaticalise) avec les déictiques de personne tels que « je » et « tu ». Lorsque des conventions sociales s’appliquent, avec par exemple le vouvoiement en français, on parle de déixis sociale, terme qui dénote la façon dont les statuts sociaux se reflètent dans les mots utilisés. Plus précisément, on parle de déixis sociale relationnelle pour les exemples du tutoiement et du vouvoiement qui dépendent des relations sociales entre les deux interlocuteurs, et de déixis sociale absolue pour des exemples tels que « Sa Majesté » ou « Monsieur le président », où seul le statut de l’interlocuteur compte. Deuxièmement, la déixis spatiale consiste en une référence à un élément visible du lieu de l’énonciation, éventuellement au lieu même de l’énonciation. Elle se matérialise avec les déictiques de lieu tels que « ici » et « là ». Lorsqu’un contraste entre une proximité immédiate et un espace plus distant est nécessaire, on peut exploiter les marqueurs déictiques (respectivement « -ci » et « -là ») qui apparaissent en particulier dans les pronoms démonstratifs « celui-ci » et « celui-là », et qui sont susceptibles d’apparaître dans n’importe quel groupe nominal démonstratif : « cet objet-ci », « cet objet-là ». Troisièmement, la déixis temporelle consiste en une référence au moment de l’énonciation, ou à un moment qui lui est déterminé relativement. Elle se matérialise avec les déictiques de temps tels que « maintenant », « hier » et « tout de suite ». Pour chacune de ces trois formes de déixis, un geste peut renforcer l’ancrage dans le contexte d’énonciation. Le geste déictique reste cependant le plus utile à la déixis spatiale, lorsqu’il concourre à l’identification d’un référent parmi plusieurs candidats possibles. C’est le cas de l’association de l’expression référentielle « ce restaurant » avec un geste désignant un restaurant précis dans une rue qui en comporte plusieurs.

Plus précisément sur l’intervention du geste dans la déixis spatiale, nous noterons que le geste ne désigne pas toujours le référent, mais constitue plutôt un point de départ pour son identification. C’est le cas lorsque l’imprécision inhérente au geste déictique ne permet pas de différencier la désignation d’un objet de la désignation du groupe d’objets visible dans la direction indiquée (ou encore de l’objet perturbateur qui cache la véritable cible). C’est le cas également avec un énoncé tel que « j’aime bien ces fauteuils », énoncé qui, associé à un geste désignant un fauteuil bien particulier, peut s’interpréter comme « j’aime bien les fauteuils de ce type » et référer ainsi à une classe d’objets. Pour rendre compte de ces phénomènes de décalage, nous parlerons de demonstratum (parfois appelé index) pour l’entité désignée par le geste déictique, et nous garderons le terme de référent pour l’entité du discours. Quant au décalage lui-même, les anglophones le désignent depuis les travaux de Quine par le terme de deferred ostension, ou encore de deferred reference. En français, on peut parler de référence ostensive indirecte ou encore d’ostension non coréférente, la coréférence caractérisant le fait qu’il y a identité entre demonstratum et référent. Comme autres exemples d’ostensions indirectes, nous retiendrons celui de Kleiber (« il avait une grosse tête »), où le demonstratum est un chapeau et où le référent est l’homme qui a porté ce chapeau, ainsi que les exemples de polysémie tels que « ne lis pas ce livre », où le demonstratum est le livre en tant qu’exemplaire physique, et où le référent est le livre en tant que contenu. On peut ajouter les phénomènes particuliers de métonymie, avec un énoncé tel que « ce Bordeaux est meilleur que celui-ci », où les deux gestes déictiques désignent soit des verres soit directement des vins, mais en aucun cas la ville de Bordeaux. Enfin, un autre cas particulier est celui du référent immatériel, par exemple la référence ostensive à un trou comme dans l’énoncé « il faut boucher ce trou », où le geste indique du vide et où le référent ne se définit que par ses bords (qui justement ne sont pas désignés par le geste).


Si nous quittons maintenant le domaine de l’analyse des conversations pour celui de l’analyse des textes, il est possible de transposer les recours à la situation d’énonciation en des recours à la matérialité du texte ou au monde construit par le texte et reconstruit par le lecteur. Nous passons alors de la déixis primaire à la déixis secondaire. Le recours à la matérialité du texte s’appelle également déixis textuelle, et le recours à des connaissances ou à des événements extralinguistiques reconstruits dans l’esprit du locuteur est parfois appelé déixis mémorielle.

Un exemple typique de déixis textuelle consiste en la référence au texte même : « cet écrit raconte les événements de décembre 2004 ». L’utilisation des pronoms démonstratifs, et plus particulièrement des pronoms « ceci », « cela » et « ça », en est un autre exemple, comme dans la phrase : « Jean a quitté Marie pour Claire. Je trouve cela très dommage ». L’interprétation de tels pronoms peut parfois s’étendre à la totalité de la proposition (le fait que Jean ait quitté Marie pour Claire), ou seulement à une partie (le fait que Jean ait quitté Marie). Pour ce phénomène, Webber emploie le terme de deferred reference dont nous avons parlé plus haut. Enfin, dans les textes scientifiques et techniques, la déixis textuelle prend souvent la forme d’une référence à une figure ou à un tableau : « cf. figure 3 ».

La déixis mémorielle fait quant à elle appel à la notion de représentation partagée entre le narrateur et le lecteur. Si cette représentation est construite par le texte, on parlera de déixis interne. Si elle a trait à des connaissances supposées communes a priori, on parlera de déixis externe. L’utilisation des déictiques de personne, de lieu et de temps reste généralement dans le cadre de la déixis interne. C’est le cas des références aux personnages du texte, au lieu et au moment de la narration. Cas particulier, la référence au narrateur par lui-même à l’aide d’un déictique de première personne est parfois appelée déixis égocentrée. D’autre part, des expressions telles que « ce monde atroce et merveilleux » ou « comme on fait dans ces cas-là » sont des formes de déixis externe, du moins quand aucune interprétation anaphorique n’est possible.


Problèmes liés aux propriétés de la déixis et à son analyse

Parmi les questions qui se posent sur la portée de la déixis et sur les propriétés sémantiques des déictiques, nous retiendrons les suivantes :

— La déixis est-elle portée par des éléments linguistiques ? Autrement dit, l’interprétation est-elle guidée de manière prioritaire par les déictiques, ou, au contraire, est-elle guidée avant tout par la présence d’un geste ostensif ? En ce qui concerne les déictiques tels que « je », « ici » et « maintenant » (qui se passent de geste et qu’on appelle parfois déictiques purs ou essentiels), il semble clair que la déixis est portée par le mot même. En ce qui concerne les références ostensives, la question se pose de manière plus subtile : dans l’association de l’expression référentielle « ce livre » avec un geste désignant un livre, peut-on dire que l’expression référentielle porte la déixis ? Mieux, peut-on, à la suite de Corblin (cf. le recueil de Morel et Danon-Boileau), dire que la déixis est portée par le seul démonstratif, ce qui revient à paraphraser « ce livre » par « cela, qui par ailleurs est livre » ? Si on suit cette idée, on en vient à distinguer deux types de « ce » : d’une part le « ce » déictique qui s’associe à un geste pour désigner un référent, et d’autre part le « ce » utilisé dans les anaphores. Lever une ambiguïté entre l’un ou l’autre « ce » revient à choisir l’interprétation déictique ou l’interprétation anaphorique. L’intervention d’un geste en lien avec l’action de référence suffit alors à retenir l’interprétation déictique. Mais dédoubler ainsi l’ensemble des déterminants et pronoms démonstratifs reste une manière coûteuse de traiter le problème. Si l’existence des déictiques purs justifient de poser cette notion de déixis, le cas des démonstratifs est plus délicat à rattacher. A titre d’illustration, nous noterons que dans la plupart des systèmes de compréhension automatique traitant la déixis, c’est-à-dire dans les systèmes de dialogue homme-machine conçus pour traiter la parole et le geste de désignation, l’interprétation des démonstratifs se fait de la manière suivante : si un geste ostensif peut être rattaché au démonstratif, alors on avance l’hypothèse de référence ostensive ; sinon, on avance l’hypothèse de référence anaphorique et on cherche un antécédent dans l’historique du dialogue.

— Quelles sont les catégories grammaticales couvertes par les phénomènes de déixis ? Nous avons déjà parlé de la personne, avec les pronoms « je » et « tu » qui réfèrent au locuteur et à son interlocuteur, et avec le pronom de troisième personne « il », qui, comme on l’a vu avec l’exemple de Kleiber, peut s’associer à l’ostension. Plus particulièrement pour le pronom de deuxième personne du français, le nombre intervient aussi en tant que catégorie pour la déixis sociale. Nous avons parlé également des déterminants, adverbes et pronoms démonstratifs. Reste la catégorie du verbe avec l’aspect et le temps. La localisation de l’événement énoncé par rapport au moment de l’énonciation peut en effet se faire à l’aide de ces catégories grammaticales, sans qu’il soit nécessaire de faire intervenir un déictique de temps. Nous noterons enfin qu’en marge de ces considérations grammaticales, la focalisation prosodique peut constituer une catégorie couverte par la déixis : une telle focalisation peut en effet remplacer un geste ostensif et suffire à attirer l’attention de l’interlocuteur sur la situation d’énonciation.

— Quelle est la nature du contexte d’énonciation impliqué dans l’interprétation de la déixis ? Le contexte d’énonciation regroupe avant tout le sujet parlant et les autres participants à l’interaction, ainsi que l’ensemble des éléments situationnels mutuellement connus par ces individus et pouvant être exploités par une référence déictique. C’est pour ce dernier point que se pose le problème de l’étendue du contexte d’énonciation : quels éléments peut-on y placer sans avoir à intégrer toutes les connaissances du monde partagées par les interlocuteurs ? L’interprétation des gestes déictiques nécessite le recours à l’espace visuel partagé, qui constitue de ce fait une partie fondamentale du contexte d’énonciation. L’interprétation des pronoms « celui-ci » et « celui-là » nécessite un recours aux énoncés précédents de manière à récupérer la catégorie linguistique. L’historique du dialogue fait ainsi également partie du contexte d’énonciation. Considérons enfin l’exemple de Kleiber où un enfant tend la main vers une cage renfermant un lion et se voit avertir par l’énoncé : « attention, il risque de te mordre ! ». Le pronom « il » n’a ici ni antécédent linguistique ni demonstratum à sa portée. Il s’interprète donc uniquement à l’aide de l’attitude de l’enfant et de la connaissance du danger qu’une telle attitude peut induire. Théoriquement, le contexte doit donc inclure ce type d’attitude et ce type de connaissance. Pratiquement, et nous revenons ici aux systèmes de compréhension automatique, il est très difficile d’intégrer ces aspects à une modélisation du contexte.

— Y a-t-il opposition ou continuité graduée entre déixis et anaphore ? Dans le livre de Moeschler et Reboul, le chapitre dédié à ces deux notions montre que l’anaphore ne peut se définir que par opposition aux autres modes de référence, parmi lesquels la référence des déictiques purs et la référence ostensive (appelée référence démonstrative par Reboul). Ce point de vue correspond à ce que nous avons dit des systèmes de compréhension automatique : les deux hypothèses sont exclusives, la présence d’un déictique pur ou d’un geste ostensif suffisant à les départager. Danon-Boileau avance au contraire qu’il y a continuité entre les deux notions. Son argument est d’ordre plus cognitif : la déixis et l’anaphore ont un même but, celui de présenter à l’autre un objet « pour lui dire tout à la fois qu’il le connaît déjà, mais qu’il n’y a pas prêté d’attention suffisante ». La gradation entre déixis et anaphore consiste alors en des degrés relatifs dans le recours au contexte situationnel et au co-texte.


Références bibliographiques

  • Kaplan, D. (1989). Demonstratives: An Essay on the Semantics, Logic, Metaphysics, and Epistemology of Demonstratives and other Indexicals, In Almog, J., Perry, J., Wettstein, H. K. (Eds.), Themes from Kaplan, New York: Oxford University Press, pp. 481-563.
  • Kleiber, G. (1994). Anaphores et pronoms, Louvain-La-Neuve : Duculot.
  • Lyons, L. (1970). Linguistique générale. Introduction à la linguistique théorique, Paris : Larousse.
  • Moeschler, J., Reboul, A. (1994). Dictionnaire encyclopédique de pragmatique, Paris : PUF.
  • Morel, M.-A., Danon-Boileau, L. (dir.) (1990). La déixis, colloque en Sorbonne 8-9 juin 1990, Paris : PUF.
  • Quine, W.v.O. (1971). The Inscrutability of Reference, In Steinberg, D. D., Jakobovits, L. A. (Eds.), Semantics, Cambridge University Press, pp. 142-154.
  • Webber, B. (1991). Structure and Ostension in the Interpretation of Discourse Deixis, Natural Language and Cognitive Processes 6(2), pp. 107-135.
  • Yourgrau, P. (Eds.) (2003). Demonstratives, New York: Oxford University Press.


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