Contraste

De Sémanticlopédie
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par Jean-Marie Marandin

L’extension du terme

Le terme de contraste est à peu de chose près aussi ambigu que focus. Il est employé pour décrire l’interprétation d’un ensemble hétérogène d’expressions. Les phénomènes dits contrastifs dans la littérature sont listés et illustrés de (1) à (11). Afin de faciliter la lecture, ils sont présentés en quatre sous-types définis par le type d’interprétation qu’ils mettent en jeu.


A) Interprétation mettant en jeu une relation de contre-orientation argumentative entre propositions.

C’est typiquement le cas de l’interprétation de connecteurs comme mais (le mais qu’on appelle dans la littérature anglo-saxonne mais concessif : aber en allemand).

(1) a. Il est républicain, mais (il est) honnête
b. Il est républicain, pourtant il est honnête.

Le même terme est employé pour décrire de manière générale le sens de conjonctions de subordination adversatives ou concessives.

(2) a. Bien qu'il soit pro-européen, il vote non au référendum
b. Même s'il est pro-européen, il vote non au referendum


B) Interprétation mettant en jeu le refus par le locuteur d’un énoncé (d’une partie d’énoncé) qui est actif ou accessible dans le contexte.

L’exemple prototypique est celui de Chafe en (3) :

(3) A.: Sally made the hamburgers
Sally a préparé les hamburgers
B.: ROnald made the hámburgers (Chafe 1976 : 35)

Tombent sous ce chef les énoncés où apparaît un usage métalinguistique de la négation (Horn 1989) et que Geurts 1998 appelle denial (en français dénégation). On peut distinguer quatre types de dénégation :

– dénégation de proposition : (on ne connaît pas exactement la prosodie de ce type d’énoncé en français) :

(4) A.: Sally a préparé le diner
B.: Sally n’a pas préparé le diner, c’est Bernadette.

– dénégation de forme :

(5) A.: Sany a préparé le diner
B.: Sally, pas Sany.

Ce cas est appelé correction, réparation dans la littérature. Il faut noter qu’il est associé à un marquage prosodique tout à fait particulier, puisqu’il peut affecter n’importe quelle partie des unités constitutives de l’énoncé (en particulier, les syllabes qui ne sont pas lexicalement distinguées dans les langues à accent lexical comme l’anglais).

– dénégation d’implicature :

(6) a. Marie n’est pas intelligente, elle est brillante (cf. Geurts 1998 : 294)
b. Il n’a pas acheté trois livres, mais quatre (ibid.)

– dénégation de présupposition :

(7) Barney n’a pas peint sa Buick en rose ; il n’a pas de Buick (cf. Geurts, 1998 : 299)

Il est important de noter que c’est l’énoncé tout entier qui est contrastif, mais, comme le souligne avec force Geurts, le rejet peut affecter plus particulièrement une partie du contenu de l’énoncé. Par exemple, sally en (4), sany en (5), intelligente en (6), etc. De même, l’énoncé que le locuteur oppose à l’énoncé qu’il refuse (par exemple, (3)) peut mettre en relief un de ses constituants (par exemple, Ronald dans (3)). Il est courant d’utiliser le terme de focus pour désigner ces parties distinguées dans l’énoncé : cet emploi de focus renvoie au sens général du terme « tout élément distingué dans une configuration d'éléments ». C’est une question d’analyse que de décider si la notion de focus (informationnel), telle qu’elle est définie dans l’articulation fond-focus, est pertinente pour analyser cette partie distinguée dans ce type d’énoncé.


C) Interprétation qui met en jeu un ensemble d’alternatives accessibles dans le contexte

Ce type d’interprétation est celui qui est discuté en référence à l'articulation fond-focus dans l’abondante littérature consacrée à la structure informationnelle. On distingue généralement ce qu’on appelle le focus contrastif (Tom dans (8)) et le topic contrastif, en fait, le ou les constituant(s) du fond contrastif(s) : Mary et Paul dans (9).1

(8) A.: Among John, Mary, and Tom, who is the oldest?
B.: TOM is the oldest (Kuno, repris dans Lambrecht, 1994 : 286)
(9) A. : As for Mary and Paul, which country did they visit ?
B. : MARY visited FRANCE and PAUL ITALY (d’ap. Vallduví & Zacharsky 1993: 696)

Ce type d’interprétation est rapprochée de l’interprétation des adverbes restrictifs (seulement, ..) et additifs (aussi, ..) qui met également en jeu des alternatives. L’énoncé (10a) signifie (10b) :

(10) a. Paul a seulement rencontré Bernadette à Paris
b. Paul a rencontré personne d’autres que Berandette à Paris.


D) Interprétation qui met en jeu une mise en relief parallèle

(11) a. An aMErican farmer met a caNAdian farmer (Rooth, 1992 : 91)
b. John is neither EAsy to please, nor EAger to please, nor CERtain to please (Chomsky, 1971 :
205).

Les exemples en (11) sont parmi les premiers, dans le paradigme génératif, qui ont donné lieu à l'hypothèse d'un sens contrastif de l'accentuation en anglais.

Problèmes posés par la notion de contraste

Deux problèmes sont traditionnellement associés à la notion de contraste.


A) Quels sont les liens entre le contraste et la notion de focus tel que défini dans l’articulation fond-focus?

B) Que faire de l’hétérogénéité des cas susbsumés par contraste ? Deux réponses ont été apportées : a) montrer qu’ils présente une propriété commune, bref qu’ils forment soit une classe naturelle ou une famille de ressemblance, ce qui justifie qu’on emploie un terme commun ; ou bien b) dénoncer le caractère flou du terme et analyser chacun des quatre cas de façon séparée.


Les approches unifiées tirent argument de l’observation que la même forme donne lieu à ces différents types d’interprétation (prototypiquement, l’accentuation en anglais) ou qu’une même forme peut être ‘ambiguë’ en contexte entre plusieurs types de lecture contrastive, voire les cumuler (Malchukov 2004 est un bon exemple de ce type d’approche ). Au contraire, les approches non unifiées tirent argument que les différents types d’interprétation donnent lieu à des formes différentes (dans une langue ou selon les langues).

Approche unifiée du contraste

On évoque ici deux approches unifiées qui illustrent deux démarches distinctes. Les deux démarches admettent que focus et contraste (au sens de : interprétation requérant un ensemble d’alternatives) sont identifiables (pour une présentation d’ensemble, on peut se reporter à De Hoop et al. 2004).


– La démarche de Rooth est une démarche « de la forme vers le sens » (« accent to focus ») : elle admet que doit être unifiée l’interprétation de tout item portant un focus prosodique. Le sens de ce focus prosodique est d’évoquer un ensemble d’alternatives. L’analyse de Rooth traite de manière uniforme B, C et D (elle laisse de côté A). Voir la fiche focus et contraste.

– la démarche de Umbach 2004 et 2005 est une démarche « du sens vers la la forme » (« focus to accent »). Etant admis que le contraste requiert un ensemble d’alternatives, elle montre que le même jeu d’oppositions permet de décrire les interprétations qui ont pour cadre l’énoncé (C) et (D) et les interprétations qui ont pour cadre les relations entre énoncés (A) et (B). Par exemple, elle montre que l’interprétation du XP introduit par le mais dit correctif (sondern en allemand) dans (12b) est identique à celle du XP accentué (the cinema) dans (12a) et qu’elle repose sur une exclusion de type « instead of », alors que l’interprétation du XP introduit par le mais dit concessif (aber en allemand) dans (13b) est identique celle de l’associé de only (13a) et qu’elle repose sur une exclusion de type « in addition to ». Voir (focus) exclusif.

(12) (A. : Yesterday, Ronald went to the opera)
B. : a. Ronald went to the CINEMA.
b. Yesterday, Ronald did not go to the OPERA, but to the CINEMA.
(13) a. In Paris, Ronald only went to the CINEMA.
b. In Paris, Ronald went to the CINEMA, but he didn’t go to the OPERA.

Approche non unifiée

Le prototype de l’approche non unifiée est celle de Vallduví & Vilkuna 1998 qui isole les interprétations C sous le nom Kontrast et qui discute leur lien avec l’hypothèse de la structure informationnelle, en laissant de côté les autres cas. Voir Kontrast.


Les approches non unifiées mettent l’accent sur les différences de formes associées aux différents types d’interprétation dans une langue ou selon les langues et sur les différences de calcul sémantique pour arriver aux différentes interprétations citées sous (A)-(D). C’est l’approche privilégiée dans la littérature contemporaine. On se reportera à la fiche Contraste (Relation de discours) pour les faits relevant de A. Pour les faits relevant de C, on distingue l’interprétation restrictive (voir focus identificationnel, focus exhaustif) et l’interprétation lié à un effet de topic résiduel (voir S-topic).

Notes

1 On reproduit la présentation des auteurs : les lettres majuscules indiquent un marquage prosodique (accentuation).

Références

  • Bart Geurts, 1998, The mechanisms of denial, Language 74 : 274-307.
  • Büring, Daniel, 1997, The Meaning of Topic and Focus: The 59th Street Bridge Accent. London: Routledge.
  • Büring Daniel, 2002, “On D-Trees, Beans, and B-Accents", Linguistics & Philosophy.
  • Chafe Wallace, 1976, Giveness, contrastiveness, definiteness, subjects, topics and point view, [Charles Li, ed.], Subject and topic, New-York : Academic Press.
  • Chomsky Noam, 1971, Constraints on transformation, [Anderson S.,& Kiparsky P. eds], Festscchrift for Morris Halle, New-York : Rinehart and Winston.
  • De Hoop Elen & de Swart Peter, eds, 2004, Contrast, Journal of semantics 21-2.
  • Horn Laurence, 1989, A natural history of negation, Chicago : The University of Chicago Presss.
  • Rooth Mats, 1992, A theory of focus interpretation, Natural language semantics 1 : 75-116.
  • Schwenter Scoot, 2005, The pragmatics of negation in Brazilian Portuguese, Lingua 115 : 1427-1456.
  • Umbach, C. (2005) Contrast and Information Structure: A focus-based analysis of but. Linguistics. Vol 43-1.
  • Umbach, C. (2004) On the Notion of Contrast in Information Structure and Discourse Structure. Journal of Semantics, Volume 21, Issue 2.
  • Vallduví E. & M. Vilkuna 1998, “On Rheme and Kontrast", The Limits of Syntax, ed. by Peter Culicover and Louise McNally, New-York: Academic Press. 79-108.