Primitives
par Patrick Saint-Dizier |
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Situation
Il est particulièrement délicat de définir la notion de primitive, en dehors d'une définition vague, basée sur l'éthymologie du terme: 'ce qui est premier, ou a un tel caractère'. Cette notion a suscité de nombreux débats depuis l'antiquité sur l'existence même de primitives, et, si tel est le cas, sur leur statut, leurs caractéristiques et propriétés.
Cette notion apparaît en fait être largement relative dans le temps par rapport aux connaissances d'une époque, mais aussi par rapport à un niveau de granularité de l'analyse que l'on fait, et probablement aussi relative à la vision théorique que l'on a du modèle que l'on veut développer. L'exemple de la physique de l'atome est assez éclairant sur ce sujet: des nombreuses particules, postulées indivisibles, des siècles passés, la physique a évolué vers l'atome, avec la triade électron-proton-neutron. A l'heure actuelle, cette vision est bien désuète, avec l'introduction, par exemple, des Quarcks et des Bosons, témoins de variations d'énergie, ainsi que les équivalences entre ébérgie et matière sont postulés comme primitifs. Il en va ainsi dans de nombreux domaines, y compris en philosophie, qui ont, du reste, plus ou moins emprunté cette vision à la physique.
La langue n'échappe pas à ce caractère relatif ainsi qu'aux discussions sur l'existence et le statut épistémologique des primitives. Ces dernières décennies ont vu des mouvements forts en faveur des primitives, puis des réactions aussi fortes contre, basées sur l'impossibilité de définir une bonne fois pour toutes de tels objets. Il apparaît ici une petite confusion entre primitives et universaux.
Faute d'un meilleur modèle, suffisemment expressif, les langages à base de primitives pour décrire le sens de mots ou de constructions sont relativement bien acceptés et se sont stabilisés. Ceux-ci sont à présent considérés comme un effort de conceptualisation et d'organisation de connaissances autour d'un petit nombre d'éléments abstraits, postulés non décomposables. Les primitives peuvent toutefois être aussi considérées comme des 'macros' qui pourront être interprétées plus finement dans des domaines donnés, par exemple la géométrie Euclidienne pour les primitives spatiales.
Le concept de primitive doit lui-même être contextualisé, il dépend du cadre théorique et conceptuel dans lequel l'on s'inscrit, il dépend aussi des objectifs que l'on se donne, ainsi que du niveau d'abstraction et de granularité que l'on souhaite atteindre. Un langage à base de primitives est donc une spécification à caractère formel et explicite d'une conceptualisation partagée d'un ensemble de connaissances. Tout comme une ontologie, qui a aussi un certain caratère 'primitif', mais beaucoup plus faible, un langage à base de primitives introduit plusieurs types d'éléments primitifs: des éléments de base, des relations, des fonctions, des axiomes, des contraintes de divers types, etc. Dans notre définition, le terme partagé indique le caractère consensuel du vocabulaire, des objectifs et de la précision de l'analyse. Le terme conceptualisation indique l'objectif intentionnel, lié à une préoccupation opérationelle.
Dans la suite de cette fiche, nous proposons plusieurs éclairages de cette notion de primitive.
L'approche décompositionelle du sens en primitives sémantiques
Avec l'objectif d'associer une sémantique à la syntaxe générative, Katz et Fodor (1963) ont développé une argumentation proposant que le sens de mots pouvait être représenté par un ensemble structuré de primitives sémantique. Ainsi, femme était-il représenté par trois traits distinctifs: +humain +feminin +adulte.
Cette approche décompose les sens en des éléments primitifs supposés être universaux et indépendants des langues. Elle conduit à la recherche de l'ensemble des primitives sémantiques nécéssaires à la descriptions des sens des mots de la langue. Cette quête a été en particulier relayée par R. Shank. Le résultat est la définition, au moins provisoire de 11 primitives décrivant les différentes facettes de l'action. Parmi celles-ci, citons:
PROPEL: application d'une force physique à un objet
MOVE: déplacer une partie d'un objet
ATRANS: changement dans une relation abstraite par rapport à un objet, par exemple un changement de possession
MTRANS: créer ou combiner des pensées.
etc.
Le système créé contient aussi des primitives pour les objets (HAND, MOUTH, HEALTH, etc.), les états (INGESTED, SICK), et des phénomènes généraux tels que le temps, le lieu, la causalité. G. Miller et P. Johnson-Laird ont alors tenté de donner une base psychologique à ces primitives (Language and perception XX). Ils ont établi que nombre de ces primitives pouvaient être décomposées en des notions plus élémentaires. A travers WordNet, il est apparu, par exemple, que les verbes pouvaient être classés, de façon non univoque, en différents groupes: verbes de mouvement, de transfert de possession, de communication, etc. Ce travail a aussi permis de mieux percevoir que les humains structuraient leurs concepts selon plusieurs strates, telles que le temps, l'espace, la possibilité, la causativité, l'intention, etc.
A travers cette première analyse, on voit que le champ des primitives interagit avec de nombreuses autres considérations: des classifications, des champs conceptuels, etc.
Outre les travaux de M. Minsky et de R. Shank avec la notion de frame, cette approche a donné lieu à la définition des réseaux sémantiques.
Cette vision de la notion de sens a été complétée entre autres par les travaux de Fodor et ali. sur la notion de postulat de signification, selon lequel le sens d'un terme et sa compréhension dans un contexte d'énonciation donné se fait par le biais de règles d'inférences qui expriment les conséquences nécéssaires de l'énoncé sur le monde usuel. Ces postulats de signification s'appliquent non pas sur le smots eux-mêmes mais sur une certaine image mentale, générique, basée sur des primitives.
Enfin, pour clore ce point, L. Wittgenstein puis H. Putman on noté qu'il n'était pas toujours possible, voire même souhaitable de ramener un sens à un ensemble de conditions nécéssaires et suffisantes. Ils ont alors introduit plusieurs notions, dont celle de prototype. Cette ajout, plutôt descriptif qu'explicatif, permet de mettre en lumière les composants caractéristiques autant que les composants nécéssaires.