Structure informationnelle

De Sémanticlopédie
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par Jean-Marie Marandin

L'hypothèse de la structure informationnelle

On postule un niveau d'organisation grammatical, qu'on appelle structure informationnelle pour rendre compte du fait que plusieurs énoncés qui ont le même contenu sémantique présentent une forme distincte, soit en termes de réalisation prosodique, d'ordre des mots, de type de construction ou de marquage des constituants. Lambrecht 1994 parle d'allophrases (allo-sentences). C'est par exemple le cas des réponses de B aux différentes questions de A en (1). Ce sont des allophrases prosodiques. Elles ont toutes le même contenu propositionnel, mais elles présentent chacune une forme prosodique différente: l'accent saillant de l'énoncé (noté informellement par la mise en majuscule du terme qui le porte) est réalisé sur un constituant différent.

(1) i. A.: Wohin fährt Karl morgen? Où va Karl demain
B.: Karl fährt morgen nach BERLIN Karl va à Berlin demain
ii. A.: Wann fährt Karl nach Berlin? Quand Karl va-t-il à Berlin
B.: Karl fährt MORGEN nach Berlin
iii. A.: Wie reist Karl nach Berlin? Comment Karl se rend-il à Berlin
B.: Karl FÄHRT morgen nach Berlin Karl va en voiture (..)
iv. A.: Wer fährt morgen nach Berlin? Qui va à Berlin demain
B.: KARL fährt morgen nach Berlin

On observe, de plus, que les différentes allophrases ne peuvent pas être interchangées sans déclencher un sentiment d'inappropriation (généralement noté #) chez les locuteurs (2); on admet donc que le sens et/ou la fonction du différentiel de forme, en tant qu'il est susceptible d'un jugment de la part des locuteurs, relève de la compétence grammaticale. Le niveau de structure informationnelle est introduit dans l’architecture grammaticale pour rendre compte de cet aspect de la compétence.

(2) i. A.: Wohin fährt Karl morgen?
B.: # Karl fährt MORGEN nach Berlin
ii. A.: Wann fährt Karl nach Berlin?
B.: # Karl fährt morgent nach BERLIN

L'hypothèse de la structure informationnelle (SI dorénavant) s'inscrit dans une longue histoire, puisque le contraste (1) est la traduction d'un paradigme construit par Paul 1880 (von Heusinger 1999). Paul postule une articulation binaire de la phrase en sujet et prédicat psychologique, indépendant de la relation sujet/verbe. Cette première hypothèse a été reformulée dès les années soixante en abandonnant la référence à la prédication et en adoptant le référentiel informel du transfert d'information entre locuteurs (en reprenant plus ou moins les théories du dynamisme informationnel *). Le terme structure informationnelle (information structure) a été forgé par Halliday 1967 qui fixe également son contenu pragmatique, qu'on retrouve dans la plupart des théories contemporaines de la SI. Dans le fragment cité en (3), le terme theme a un emploi propre à Halliday : il renvoie à la grammaire du discours en général.

(3) « Theme is concerned with the information structure of the clause ; with the status of the elements not as participants in extralinguistic processes but as components of a message ; with the relation of what is being said to what has gone before in the discourse, and its internal organization into an act of communciation (cf. the ‘organization of utterance’ as a syntactic level in Danes 1964) » (Halliday, 1967: 199; je souligne).

Les faits analysés en termes de SI

Les faits étudiés sous le chef de la SI se répartissent en trois familles. On les illustre ici dans la dimension de la prosodie en anglais et en reprenant le dispositif du couple question/réponse. Le différentiel ne s'observe pas que dans des réponses, mais c'est dans ce couple qu'on peut construire des paires minimales faciles à évaluer par les locuteurs. L'emploi exclusif de ce dispositif a des effets pervers: en particulier, il privilégie les réponses et donc, les énoncés déclaratifs indépendants. Cette limitation a sans doute contribué au fait qu'on définit généralement le niveau de SI en référence à la phrase déclarative et/ou l'assertion. Et qu’on oublie de se demander s’il est pertinent pour les phrases enchâssées ou bien pour les phrases associées à une force illocutoire différente (question, etc.). C’est pourtant une condition sine qua non si on veut faire de la SI un niveau d’organisation de la phrase.


Fait 1: les allophrases sont des réponses congruentes *. En (4), l'accent nucléaire * de l'énoncé est porté par le constituant (XP) qui résout la question, ou bien par le dernier item lexical quand la question est totale (4.iv).

(4) i A: Who did Paul introduce to Sue ?
Qui Paul a-t-il présenté à Sue
B: a. Paul introduced BILL to Sue
b.# Paul introduced Bill to SUE
ii A: Who did Paul introduce Bill to ?
B: a. Paul introduced Bill to SUE
b. # Paul introduced BILL to Sue
iii A: What did Paul do at the party?
B: a. Paul introduced Bill to SUE
b. # Paul introduced BILL to Sue
iv. A: What happened at the party?
B: a. Paul introduced Bill to SUE
b. # Paul introduced BILL to Sue

Fait 2: les allophrases sont des réponses congruentes ou non. Dans une réponse, la partie qui reprend la question peut être « désaccentuée » ou accentuée. C'est le cas en (5) avec la séquence ate the beans : elle est « désaccentuée » en (5.i) et accentuée en (5.ii). On observe, de plus, que les accents ne sont pas identiques selon qu'ils portent sur la partie qui reprend la question et sur la partie qui résout la question (Fred). Dans le premier cas, il s'agit de l'accent que Jackendoff appelle B (analysé comme un pitchaccent L+H*, considéré isolément ou bien dans le contour L+H* L- (H%)); dans le second de l'accent A (analysé comme un pitch accent H*, considéré isolément ou bien dans le contour H* L- (L%)).

(5) i. A.: Who ate the beans?
Qui a mangé les haricots ?
B.: FRED ate the beans
A
ii. A.: Well, what about the BEANS ? Who ate THEM ?
B.: FRED ate the BEANS
A B (Jackendoff, 1972: 259)