Prédicat secondaire

De Sémanticlopédie
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par Danièle Godard


Définition

Malgré le succès de l‘expression, il n'y a pas de consensus dans l'usage sur les propriétés des prédicats secondaires, et peu de réflexion théorique sur la notion ellemême. L’objectif ici est donc de voir dans quelle mesure la notion est utile en sémantique.

Nous adoptons la position suivante : cette notion est utile dans la mesure où elle ne recouvre pas des fonctionnements déjà reconnus et nommés, autrement dit, si elle capte le fonctionnement d'expressions qui ne sont ni modifieur d‘une catégorie verbale, ni argument du verbe 1. Nous montrons que ce fonctionnement existe, mais qu’il est très limité.

Dans cette approche, le prédicat secondaire a les propriétés suivantes :

(i) il dépend de l'occurrence d'un verbe.
(ii) il attend un argument distingué ou sujet ; ce sujet non exprimé est identifié soit avec le sujet, soit avec l’objet du verbe.
(iii) il appartient aux différentes catégories syntaxiques majeures.
(iv) il n'appartient pas à la sous-catégorisation de base du verbe.
(v) son occurrence et son interprétation sont plus contraintes que celles d’un modifieur.
(vi) il n'est pas un argument sémantique du verbe.

Si l'on s'en tient aux propriétés (i)-(iv), on a la définition syntaxique de la notion 2. Or, elles ne permettent pas de distinguer un prédicat secondaire d'une structure à montée ou à contrôle (où le prédicat est un argument sémantique) ou d'un ajout sans verbe conjugué (voir (1) et (2)). La face sémantique de la propriété (iv) peut être utile : si l'interprétation de la combinatoire V + GN change clairement suivant que l'expression en cause est ou non présente, on a une indication qu’il s’agit d’un argument sémantique du verbe.

Construction

Les constructions pour lesquelles on a parlé de prédicat secondaire en français sont illustrées ci-dessous (voir notamment Cadiot et Furukawa 2000) :

(1) On a longtemps cru Paul intelligent
(2) Arrivé en retard, Paul n’a pas pu entrer dans la salle
(3) Paul est arrivé complètement hilare
(4) Paul boit le rhum chaud
(5) La musique rend les enfants heureux
(6) On a repeint les volets en blanc
(7) On a poussé la voiture dans le garage
(8) J'ai vu Paul avec un ami / sur le toit / en colère / vociférant dans la rue
(9) a. J'ai vu Paul qui vociférait dans la rue
b. Il y a / Voilà le bus qui arrive !
c. C'est la police qui arrive !
(10) a. J'ai une place de libre
b. La maison a un immeuble en vis-à-vis

La construction de croire (1)

La construction caractérise des verbes d'attitude propositionnelle / de parole (croire, savoir, dire, imaginer etc.) et quelques verbes de volonté (vouloir, désirer). Le GN objet et le prédicat (appelé attribut de l’objet dans la grammaire française, voir Willems et Defrancq 2000 dans Cadiot et Furukawa pour une classification des verbes) ne forment pas ensemble un constituant, comme le montrent les tests syntaxiques (pronominalisation, accord, extraction). Sémantiquement, le GN objet n'est pas un argument de croire, qui prend un argument propositionnel, la phrase (2) étant équivalente à ‘On a longtemps cru que Paul était intelligent’. La constituance ne coincide pas avec l'unité sémantique : c'est la situation qui correspond à la ‘montée’ d'un argument (cf. Jean semble avoir compris). Le prédicat ‘intelligent’ est celui d'une proposition argument du V, et n’est pas plus un prédicat secondaire que ne l’est l’infinitif ‘avoir compris’ dans Jean semble avoir compris.

Le modifieur sans verbe conjugué (2)

L’expression participiale en (2) est clairement un modifieur de la phrase, comme les circonstancielles. A la différence de ces dernières, elle ne comporte pas de mot dénotant une relation qui prendrait comme argument (la dénotation de) la phrase et (la dénotation du /) le modifieur (par ex. comme, bien que, si etc.). C’est pourquoi cette relation est sous-spécifiée et dépend de la sémantique des deux expressions, et aussi du contexte (comparer (2) et Arrivé en retard, Paul est pourtant entré dans la salle, voir Stump 1985). La construction ne montre pas les contraintes d’interprétation qui peuvent amener à la onclusion qu’il s’agit d’un prédicat secondaire : il n’y a pas de contrainte de co-incidence ou de relation résultative entre les événements décrits, et la relation restituée semble prendre comme arguments des objets abstraits plutôt que des événements (comparer avec la section suivante).

Les descriptions secondaires (3) et (4)

Les constructions (3) et (4) sont dites en anglais ‘subject’ and ‘object depictives’, respectivement : elles apportent des informations sur le sujet, ou sur l'objet du verbe3. Appelons ces prédicats des descriptions secondaires, ou simplement ici ‘descriptions’. Elles sont souvent considérées comme formant avec les prédicats résultatifs (voir (5), (6)) l'ensemble des prédicats secondaires en anglais. Syntaxiquement, on peut montrer que ni les descriptions, ni les résultatifs ne forment un constituant avec le GN sujet ou objet du V. En dehors de cela, toutes les analyses syntaxiques ou presque ont été proposées concernant la fonction syntaxique des prédicats (ajouts ou compléments).

Les descriptions n'appartiennent pas à la sous-catégorisation de base du verbe, et ne fonctionnent pas comme leur argument sémantique. Pour les analyser comme des prédicats secondaires, il faut montrer que ce sont autre chose que des modifieurs du ou dans le GV, autrement dit, qu'ils imposent des contraintes particulières, par ex. en contribuant plus que la simple concomitance de deux événements, dénotés par le verbe et par la description. C'est la position de Rothstein (2004), pour qui les prédicats secondaires construisent toujours un événement singulier avec le verbe. Si elle est vraie, cette propriété permettrait de les distinguer des modifieurs.

La concomitance est une condition largement reconnue de ces constructions (Dowty 1972, Muller 2000 dans Cadiot et Furukawa). Par ex., il est impossible de modifier le verbe et la description par une indication temporelle différente (Les serveurs ont dansé nus hier soir vs * Hier soir, les serveurs ont dansé nus l'après-midi). Mais certains arguments ont été avancés pour dire que les deux événements sont plus étroitement liés que ne le suppose la simple concomitance :

(i) Les deux événements sont ‘temporellement dépendants’, car ils se déroulent ensemble pour la période considérée. La phrase J'ai joué avec la petite et je lui ai lu des histoires pendant une heure ne dit pas quelle période a été consacrée à quelle activité, mais Jean a conduit la voiture en état d'ivresse pendant une heure dit que les deux prédicats sont vrais du sujet pendant l'heure (Rothstein).
(ii) La description doit être pertinente par rapport à la sémantique du verbe lexical, ce qui la différencie du modifieur (comme en (2)) : Nus, les serveurs souriaient vs ?? Les serveurs souriaient nus vs Les serveurs dansaient nus (ex. d'Aarts 1995, cité dans Pérez-Guerra 2003).
(iii) La conjonction des deux peut donner lieu à une quantification partagée (Rothstein, Jean a conduit la voiture en état d'ivresse deux fois).
(iv) Les deux événements partagent toujours au moins un argument.