Collectif vs distributif

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par Alda Mari

Définition

Il existe de nombreuses définitions formelles de la collectivité / distributivité.

Informellement, on dit « collectif » tout élément qui dénote ou fait appel à une pluralité telle que, pour une propriété donnée, chacun de ses membres ne la satisfait pas indépendamment des autres. On dit « distributif » un élément qui associe une propriété à chacun des individus appartenant à une pluralité. Comme on va le voir par la suite (section 2), cette définition n’est qu’une extrapolation qui ne rend pas compte de la complexité du domaine.

On dit collectif / distributif, tantôt un GN , tantôt un GV, tantôt un pronom. On dit aussi qu’une phrase avec un GN pluriel est interprétée de manière collective ou distributive et ceci indépendamment du fait qu’elle contienne un élément explicitement distributif ou collectif.

La définition des termes collectivité et distributivité implique déjà leur analyse. De plus, elle révèle souvent un point de vue particulier sur les objets abstraits auxquelles ces deux notions renvoient : les groupes et les sommes. Certains auteurs associent la notion de groupe à celle de collectivité, et celle de somme à celle de distributivité. Ceci n’est cependant pas une règle, et parfois les deux sont confondus.

L’existence de la diversité de définitions mathématiques des notions de collectivité et de distributivité est due à l’analyse ontologique préalable. La distinction entre différents types d’entités, et le choix de plus ou moins charger le « ciel platonique » amène les théoriciens à postuler des représentations parfois incompatibles les unes avec les autres. Il y a toutefois un accord sur les phénomènes qu’une théorie de la collectivité / distributivité doit expliquer. Nous présentons ici les majeurs.

Phénomènes

Les marqueurs linguistiques

Les GN

  • Singuliers
    • Collectifs : choeur, assemblée, comité, syndicat…Ces GN dénotent des objets abstraits qui intègrent une notion d’organisation entre les membres.
    • Distributifs: cet homme, cette femme. Il est à noter que un/l’homme, puisqu’ils peuvent avoir une interprétation générique (un homme, c’est parfois naïf ; l’homme se comporte différemment de la femme), ne sont pas nécessairement distributifs, à savoir, ne dénotent pas nécessairement un homme en particulier.
  • Pluriels (cf. pluralité). Les GN pluriels sont ambigus et peuvent tantôt être interprétés collectivement tantôt distributivement.

Les GV

  • Collectif : être nombreux, être unis… Il est à noter que ces GV ne dénotent ni une propriété des membres de la pluralité, ni directement une propriété de l’objet abstrait « groupe » : le groupe, ou même l’ensemble est « nombreux » en vertu d’une contribution de la part de chacun de ses membres. Il s’agit donc d’une propriété dérivée de groupe.
  • Distributifs ou singuliers : être âgé, être intelligent… Tous les prédicats individuels (Carlson, 1977) sont distributifs.
  • Ambigus. La plupart des prédicats peuvent donner lieu aux deux interprétations (cf. pluralité). Pour (1) les deux lectures (distributive et collective) sont possibles.
(1) Les enfants chantent

Opérateurs de collectivisation et distribution

Afin de désambiguïser la phrase, il est possible d’utiliser tantôt un opérateur de collectivisation tantôt de distribution.

(2)Les enfants chantent ensemble
(3)Jean chante avec Marie
(4)Chacun des enfants chante

Ensemble peut occuper une position post-nominale (5) ou adverbiale (6).

(5)Jean et Anne ensemble gagnent 34000 Euros
(6)Jean et Anne gagnent 34000 Euros ensemble

Parfois, cette distinction syntaxique est accompagnée d’une différence de sens.

(7)Les poires et les pommes ensemble pèsent 3 Kilos
(8)Les poires et les pommes pèsent 3 Kilos ??ensemble

Avec présente aussi une grande diversité sémantique. L’emploi qui nous intéresse est celui dit de comitativité, illustré par les exemples suivants :

(9)Jean marche avec Anne dans le parc
(10)Jean parle avec Anne au téléphone

Types de collectivité : collections et groupes

Au plan descriptif, il est possible d’opérer une distinction entre différents types d’entités collectives.

  • Collections
(11)Chaque année des milliers de touristes américains visitent Paris

La description « être touriste américain » permet de classer un certain nombre d’individus dans un même ensemble. Comme il est invraisemblable que de milliers de touristes américains visitent Paris tous ensemble par une même expédition, l’interprétation la plus directe est celle distributive. On parle alors de « collection ».

  • Groupes

On parle de groupe aussi bien en présence d’un GN pluriel qu’un GN singulier. La caractéristique des groupes est qu’il doit exister un lien de dépendance entre les éléments. Considérons d’abord les GN pluriels. Ce lien de dépendance est donné par le prédicat. Les GN pluriels sont neutres quant à la distinction entre collection et groupe.

(12)Les touristes américains sont en train de faire la queue pour rentrer au Louvre

Les touristes sont organisés en ceci qu’ils suivent une règle qui consiste à respecter l’ordre d’arrivée. Chacun des touristes est lié à un autre par cet agencement. On appelle un ensemble dont les membres entretiennent des liens de dépendance des « groupes ». Ce cas est à distinguer du précédent en ceci qu’en (11) il n’existe pas de lien de dépendance entre les membres au sein d’une même collection. Chacun des touristes, en (12), est dépendant des autres : son ordre dans la queue dépend de son temps d’arrivée qui est relatif à celui des autres. Notons que la description « touristes américains » n’est pas suffisante en elle-même pour que l’on repère l’existence d’un groupe. Elle est suffisante pour que l’on repère une collection.

Dans le cas des GN singuliers, la notion de groupe est immédiate.

(13)L’orchestre a perdu ses meilleurs musiciens

L’orchestre est une entité abstraite dont l’identité de dépend pas de l’identité de ses membres.

Groupes : responsabilité individuelle et collective

Pour les groupes, il existe une notion de « responsabilité collective ». Pour :
(14)Le comité s’est réuni à 14h00

il n’est pas nécessaire que chacun des membres du comité ait participé à la réunion.

De même, pour
(15)Les gangsters ont tué leurs rivaux

il n’est pas nécessaire que chacun des gangsters ait tué l’un des rivaux, mais seulement que certains d’entre eux l’aient fait pour le groupe.

Les exceptions

La notion de responsabilité collective est à distinguer de celui des exceptions. Il est possible que tous les membres d’un groupe ne satisfassent pas la propriété donnée par le prédicat. (12) est vérifié par une situation dans laquelle quelques-uns des touristes américains ne font pas la queue, mais attendent à côté en brouillant la ligne. Ces quelques touristes sont considérés comme des exceptions. On ne considère pas pour autant que les touristes qui, eux, font la queue, agissent pour leur compte, comme c’est le cas pour la responsabilité collective. A notre connaissance, il n’existe qu’une seule proposition pour le traitement des exceptions, dans la littérature (Brisson, 1999). Notons en effet, que celles ci ne sont pas marquées ni dans la sémantique du GN, ni dans celle du GV. Le contexte seulement détermine si des exceptions existent et quels individus sont concernés. Tout traitement formel vise donc à restituer un mécanisme pragmatique.

Les niveaux de distributions

On a jusqu’ici considéré des cas où la propriété était distribuée aux individus.

Elle peut être aussi distribuée à une pluralité. La propriété peut être distribuée à des collections.
(16)Les chiens et les chats ont été séparés

Les chiens et les chats forment deux ensembles dont les membres ont comme seule caractéristique commune celle de satisfaire une même description « être chien » ou « être chat ». Il n’existe pas de liens de dépendance entre les chiens et les chats. Ils forment donc deux collections La notion de collectivité, en revanche, émerge au moment où l’on observe les collections en interaction. La collectivité des chiens entretient un lien particulier avec celle des chats (être séparés), et vice versa. L’ensemble des chiens et des chats forme donc un « groupe ».

Notons qu’on peut voir une différence importante entre (12) et (16). En (12) ce sont des entités individuelles qui entretiennent des liens de dépendance : l’ordre d’arrivée de chacun des touristes détermine sa place dans la queue relativement au temps d’arrivée de chacun des autres touristes. En (16), ce sont des collections qui entretiennent des liens de dépendance. Il est important de souligner le fait que la propriété soit distribuée à des collections et non pas à des groupes, car, non seulement ceci ne capterait pas le fait qu’il n’y a pas de lien de dépendance entre les membres de chaque collection, mais aussi un autre fait : chacun des chiens est séparé de chacun des chats. Il y aurait donc une relation de dépendance qui lie chacun des chiens à chacun des chats et vice versa.

Considérons maintenant un cas où la propriété est distribuée à des groupes.

Soit (1) répété ici en (17).
(17) Les enfants chantent

(17) peut être interprété de telle sorte que seulement des sous-ensembles chantent de manière coordonnée. Ces sous-ensembles sont considérés comme des sous-groupes. Ceci peut signifier que tous les membres de chaque sous-groupe ne chantent pas nécessairement. Il existe, à l’intérieur de chaque sous-collection une responsabilité collective. De plus, à la différence de (16), il n’est pas nécessaire que chacun des enfants de chaque sous-groupe se coordonne avec chacun des enfants des autres sous-groupes. Il y a deux étapes : une coordination à l’intérieur de chaque sous-groupe, et une coordination au niveau des sous-groupes.

Analyse

Afin de rendre compte de la différence entre distributivité et collectivité, et de les définir précisément, il est nécessaire de répondre à deux questions :

1. Quelle est la source de la distinction entre collectivité et distributivité ?
2. Qu’est-ce qu’un groupe ?

Il existe deux types d’analyses : les approches algébriques (section 3.1), et les approches méreologiques (section 3 .2). Il existe une relation profonde entre la théorie des ensembles (sur laquelle reposent les approches algébriques) et la méreologie, qui prend ses racines dans les travaux de Lešniewski (1916/1992) : la méreologie, du moins celle classique transpose quelques-uns des principes fondamentaux de la théorie des ensembles dans le domaine de la relation partie-tout (Simons, 1987 ; Meirav, 2003). En section 4, nous présentons brièvement une critique que l’on peut adresser à la fois aux approches algébriques et méreologiques, et proposons une solution différente.

Analyses basées sur une interprétation algébrique de la pluralité

Soit le treillis suivant:

Treillis abc.png


Un treillis représente une pluralité comme la sommation d’éléments (pas nécessairement comparables):

Si les animaux de cette ferme sont des chevaux et si les animaux de cette autre ferme sont des chevaux, alors les animaux de ces deux fermes sont des chevaux.
Si dans cette ferme il y a des animaux et si dans cette autre ferme il y a des fourchettes, alors dans ces deux fermes il y a des animaux et des fourchettes

La théorie de Link et de Schwarzschild

La distinction entre collectivité et distributivité dans la théorie de Link (1983) repose sur une structure en treillis.

Le GV est responsable de la distinction entre distributivité et collectivité.

Notations : conformément à la tradition formelle (pour une introduction, voir Landman (1991), nous notons en italique les mots de la langue et en majuscules les types (TYPE). TYPE est un ensemble.

On distingue des ensembles de constantes et de variables (VAR, CONST  TYPE). Nous sommes concernés ici uniquement par les constantes. En particulier, nous en utilisons de deux sortes : nominales et verbales. BOY, GIRL, etc. sont interprétés comme des ensembles de constantes d’individus. De même, KISS, WALK, etc. sont considérés comme des ensembles de constantes d’événements. Ces constantes sont interprétées comme des ensembles d’individus et d’événements, respectivement.

Il existe une relation hiérarchique entre les types. S’agissant d’ensembles (de constantes), leur relation est de type ensembliste d’appartenance.

La notation garçon BOY est un raccourci pour la notation suivante :
garçon g; «  » est une fonction qui assigne à un mot de la langue une constante.
g∈BOY; g est une constante d’individus.
BOY est interprété comme l’ensemble des garçons.
BOY ⊆ ATOM exprime le fait que les garçons sont un sous ensemble des atomes individuels dans le modèle.

Interprétation des GN et des GV :

GN singulier: garçon BOY ; BOY⊆ATOM le garçon σ(BOY) où σ est un opérateur de clôture ou d’identification.

Interprétation : garçon dénote un individu dans le modèle.

GN pluriel: garçons *BOY; les garçons σ(*BOY) où * est un opérateur de pluralisation.

Interprétation : garçons dénote une somme individu dans le modèle. Notons qu’une somme n’est pas une entité en soi. On dit aussi « sommes pures ».

GV collectif : se rencontrer MEET ; MEET ⊆ SUM

(20) Les garçons se rencontrent
  • σ(*BOY) ∈ MEET
  • ∀x ∈ BOY : x ∈ MEET
Interprétation : se rencontrer dénote un événement auquel participe une somme d’individus.

GV distributif : marcher WALK ; Postulat : WALK = DWALK où D est un opérateur de distribution

(21) Jean et Pierre marchent
j b ∈ WALK (Notation: j b est interprété comme l’union).
j b ∈ DWALK
∀a ∈ ATOM(j b): a ∈ WALK
(22) Jean marche et Pierre marche
j ∈ WALK ∧ b ∈ WALK
Interprétation: (21) et (22) ont la même interprétation. Un prédicat distributif, n’a, dans son extension, que des atomes.

GV ambigüs : transporter CARRY (collective) ou DCARRY ou CARRY ⊆ SUM (distributive)

(23) Jean et Bertrand transportent un piano
Interprétation collective j b ∈ CARRY
Interprétation collective j b ∈ DCARRY
Interprétation: les prédicats ambigus dénotent tantôt des sommes, tantôt des individus.

Les prédicats collectifs dénotent des sommes ; les prédicats distributifs dénotent des atomes. Un groupe est considéré comme une somme d’individus.

Prédiction : il est impossible d’établir une distinction entre collection et groupe, puisque aucune notion de cohérence ou de dépendance n’est prise en compte.

Schwarzschild (1997) propose une solution, qui est, du point de vue de l’ontologie, semblable. La différence importante avec Link est que le choix du niveau d’application de la propriété introduite par le prédicat (à des individus ou à des sommes) est imposé par le contexte.

Introduction de la notion de groupe comme entitié (Link, 1984 ; Landmann 1989a/b, 2000)

Dans son travail publié en 1984, Link introduit explicitement la notion de groupe en tant qu’entité cohérente et donc non réductible à la somme de ses individus. Pourquoi introduire une notion de groupe distincte de celle de somme ? Considérons un exemple.

(24) Les cartes au-dessus de 7 et les cartes au-dessous de 7 ont été séparées.

La représentation formelle proposée par Link en 1983 est la suivante.

(24') σ(*{x ∈ CARD: x 7}) σ(*{x ∈ CARD: x 7})

Dans la théorie que Link adoptait en 1983, en effet, il est en vigueur un principe de sommation universel. Ce principe affirme que, étant donné un certain nombre d’éléments, toutes les sommes possibles de ces éléments sont permises. Il n’y a donc pas de moyen pour bloquer l’inférence de la représentation (24’) à (24’’).

(24") σ(*{x ∈ CARD: x 10}) σ(*{x ∈ CARD: x 10})

Puisque dans l’ontologie on n’a que des éléments singuliers, toutes les sommes de ces éléments sont possibles.

Considérons le cas dans lequel l’on veut considérer les cartes au-dessus de 7 et les cartes au dessous de 7 comme formant deux tas inséparables. Il est souhaitable l’implication de (24’) à (24’’) soit bloquée.

Landmann (1989a/b, 2000) propose une nouvelle représentation, qui utilise le shiftage de types. Cette opération de shiftage transforme les sommes en groupes. Plus précisément, bloque l’accès aux membres de la somme. Une fois un niveau de sommation choisi, il n’est plus possible, de créer, avec les mêmes éléments une somme différente. L’opération de shiftage est représentée par ↑. La représentation en (25) indique que ces tas de cartes forment deux groupes.

↑(σ(*{x ∈ CARD: x 7})) ↑(σ(*{x ∈ CARD: x 7}))

Ce choix correspond à une position claire en ce qui concerne l’ontologie du langage naturel : il n’existe que des individus, soient-ils singuliers ou pluriels. Un individu pluriel est une entité unique, qui existe par-dessus les membres qui la composent. Cette entité indivisible est un groupe. Les sommes sont dérivées des individus et ne sont pas un objet dans l’ontologie.

Les prédicats distributifs dénotent des individus singuliers (comme pour Link). Lorsqu’ils sont combinés avec un GN pluriel, ils sont pluralisés. Les prédicats collectifs dénotent un individu pluriel, un groupe (différemment de Link, pour qui les prédicats collectifs dénotent une somme). Les prédicats distributifs, peuvent, soit par le contexte, soit par l’introduction d’éléments lexicaux spécifiques, être interprétés de manière collective. Voici quelques exemples d’interprétation :

(25) Jean et Bertrand marchent (séparément). (NB lecture distributive)
Interprétation distributive j b ∈ *WALK
(26) Jean et Bertrand marchent (en discutant) (NB lecture collective)
Interprétation collective ↑(j b) ∈ WALK
(27) Jean et Bertrand se rencontrent dans le parc
Interprétation collective ↑(j b) ∈ MEET
(28) Jean et Bertrand transportent un piano
Interprétation collective ↑(j b) ∈ CARRY
Interprétation distributive j b ∈ *CARRY
(29) Les garçons et les filles se rencontrent
↑(σ(*BOY) σ(*GIRL)) ∈ MEET
(30) Les garçons et les filles se rencontrent, mais pas dans la même pièce
↑(σ(*BOY)) ↑(σ(*GIRL)) ∈ *MEET (cas de distribution à des groupes)

Il est important de souligner que selon que les prédicats sont interprétés collectivement ou distributivement, une opération de shiftage de types assure que les GN puissent dénoter tantôt des groupes, tantôt des individus singuliers (pluralisés au besoin).


Il se pose la question de savoir quand le shiftage de types peut avoir lieu.

Le critère de collectivité fournit le critère pour définir une prédication collective:

Critère de collectivité (Landman, 2000, p. 165) : la prédication est collective si elle est directe et thématique, i.e. elle est satisfaite par un objet de l’ontologie.

Un prédicat singulier pluralisé ne satisfait pas cette condition, car il dénote une somme qui n’existe pas en tant qu’objet dans l’ontologie.

Prédiction : différemment de la théorie de Link, Landmann donne une place à la distinction collection et groupe. Il établit une distinction claire entre collections et lecture distributive d’une part, vs. groupe et lecture collective de l’autre.

En résumant : Les GN pluriels dénotent toujours des individus singuliers, mais ils peuvent être shiftés et dénoter des groupes, qui sont eux-mêmes des atomes. Les collections sont considérées comme des sommes, par pluralisation d’individus singuliers, et elles n’existent pas en tant que telles dans l’ontologie.

Une collection est dans l’extension d’un prédicat distributif lorsque celui-ci se combine avec un GN pluriel et est pluralisé.

Si la prédication s’appliquant à une collection est thématique (i.e. ce ne sont pas les éléments de la collection qui satisfont le prédicat, mais la collection dans son ensemble), on parle de groupe.

Cette distinction entre collection et groupe est très utile pour établir la distinction entre ensemble et avec, par exemple. De manière quelque peu lapidaire, on peut dire que ensemble dénote une collection, et avec, une groupe.

Analyses basées sur une interprétation méreologique de la pluralité

Mereologies classiques

Dans les théories inspirées de la méreologie classique, telle celle de Lasersohn (1995), un groupe est l’ensemble qui satisfait une propriété dans toutes les parties propres et impropres d’un événement.

Comme pour Link, un groupe est considéré au même titre qu’une collection, et il n’y a pas de distinction entre les deux. Notons aussi que, dans la théorie de Landmann, ensemble (together) et avec (with) sont interprétés de la même manière. Soit P un prédicat quelconque, distributif ou collectif. Lasersohn propose de considérer une entité plurielle groupe ou collection comme étant l’entité qui satisfait la condition suivante. C’est la condition de togetherness.

(31) [[ together ]] (P)(e) = { x ∈ U|e e [ x ∈ P(e’) & .e’’ e’ [⊙< P(e’’) = P(e’)]]}

Considérons un exemple:

(32) [[ John et Marie ont transporté le piano ensemble ]] (P)(e) = { e ∈ E | e’ e [ x ∈ [[ transporter le piano ]] (e’) & .e’’ e’ [y y ∈ [[ transporter le piano ]] P(e’’) = [[ transporter le piano ]] (e’)}


Jean et Marie transportent ensemble le piano dans l’éventualité e ssi e a une plus petite éventualité e’ comme partie dans laquelle Jean et Marie transportent le piano et telle que, pour toute éventualité e’’ qui est une partie de e’, si quelqu’un transporte le piano en e’’, alors l’ensemble de groupes et/ou individus qui transporte le piano en e’’ est le même que l’ensemble de groupes et/ou individus qui transportent le piano en e’.

Une collection ou groupe est donc cette entité qui satisfait une propriété dans toute partie propre ou impropre d’un événement.

Prédiction : cette condition ne peut pas distinguer les cas de lecture collective de celles distributive. Il est maintenant évident que la notion de collection est associée à la lecture distributive : tous les éléments de la collection satisfont la propriété séparément. La notion de groupe est associée à celle collective. Puisque Lasersohn ne considère que des ensembles, sans notion de cohérence, il n’est pas à même d’établir cette distinction dans la théorie.

Méreologies neo-classiques

Cette notion de groupe en tant que somme à été profondément critiquée dans les approches neoclassiques de la méreologie (voir pluralité, section 3).

Une fois de plus, tout comme Landman, les nouvelles méreologies considèrent les groupes comme des touts. Cette notion dépend du contexte : celui-ci seulement détermine la lecture d’une phrase ambiguë.

Une critique à la théoire de Landmann, et aux théoriés néoclassiques

Une critique importante peut être adressée aussi bien à la théorie de Landmann qu’aux méreologies néo-classiques. Les groupes sont considérés comme des touts, et leur structure interne est opaque. Techniquement, l’on dit que les membres d’un groupe ne sont pas « accessibles ». Cependant, la propriété que l’on attribue aux groupes, peut dépendre des propriétés singulières de ses membres. La structure ne doit donc pas être donnée comme opaque.

Nous avons mentionné le cas de être nombreux (il existe une opération d’addition sur les membres), et le cas de l’interprétation collective des prédicats distributifs. Soit la phrase suivante :

(33) Jean et Paul marchent

(33) a une interprétation collective (Jean et Paul marchent ensemble) ou distributive (ils marchent séparément, et ceci même s’ils peuvent être l’un à côté de l’autre).

Dire que deux personnes marchent collectivement, ne signifie rien d’autre qu’elles coordonnent leur chemin. Il est aussi possible que deux personnes suivent par hasard la même trajectoire. Dans ce cas l’interprétation est distributive : à tout moment elles peuvent se séparer.

Considérer les groupes comme des monades comme Landman et les approches néoclassiques le font, signifie ne pas rendre compte de la relation entre les propriétés des parties et les propriétés du tout, qui est importante lorsque l’on veut rendre compte, par exemple, du fait que la « marche » commune de Jean et Paul est le résultat de la coordination des trajectoires de chacun..

C’est pourquoi, pour les cas de dépendance, une nouvelle proposition a été avancée.

Pluralité et causalité

Très récemment, une nouvelle conception de la pluralité a vu le jour : pluralité comme causalité (Jayez et Mari, 2005 ; Mari, 2003).

Cette approche remet en cause la notion de groupe comme individu singulier, et le considère par contre comme le résultat d’une coordination entre ses membres. Deux individus qui forment un groupe restent individuables (et donc accessibles), mais co-varient pour certaines de leurs propriétés.

L’idée de covariance empruntée à l’analyse des contrefactuels de Lewis (1973) permet de résoudre une aporie dans laquelle les théories algébriques et méréologiques se trouvaient : un groupe est plus que la somme de ses individus, mais il n’est pas nécessairement un tout abstrait par-dessus ceux-ci.

Références

Il n’existe pas d’ouvrages d’introduction. L’article de Link, 1983 est présenté comme étant la théorie par défaut, ce qui n’est pas/ plus nécessairement vrai aujourd’hui. La première partie de l’article reste cependant une bonne (courte) introduction aux théories algébriques.

Comme pour la pluralité, la première partie de l’ouvrage de Lasersohn peut servir d’introduction.

Les monographies listées ci-dessous présentent les analyses que nous avons mentionnées dans la section 3 ci-dessus.

  • Brisson, C. (1998). Distributivity, Maximality, and Floating Quantifiers. PhD Dissertation, Rutgers University.

-3 Novembre 2004, pp. 155-169.


  • Link, G. (1983). "The logical analysis of plural and mass terms: a lattice theoretic approach". In R. Bauerle, Ch. Schwarze and A. von Stechow (eds.). Meaning, Use and Interpretation of Language. Berlin: de Gruyter.
  • Link, G. (1984). "Hydras. On the logic of relative clause constructions with multiple heads". In F. Landman and F. Veltmann (eds.). Varieties of Formal Semantics. Dordrecht: Foris.
  • Landman, F. (1989a). "Groups I". Linguistics and Philosophy 12.5: 559-605.
  • Landman, F. (1989b). "Groups II". Linguistics and Philosophy 12.6: 723-744.
  • Landman, F. (1991). Structures for Semantics. Dordrecht: Kluwer Academic Publishers.
  • Landman, F. (2000). Events and Plurality. Dordrecht: Kluwer Academic Publishers.
  • Lasersohn, P. (1995). Plurality, Conjunction and Events. Dordrecht: Kluwer Academic Publishers.
  • Lewis, D. (1973). Counterfactuals. Malden MA : Blackwell Publishing.