Quantification : Différence entre versions
Ligne 11 : | Ligne 11 : | ||
Le terme ''[[quantification|quantification]]'' est associé en sémantique moderne à un large éventail d’acceptions qui vont des utilisations très restrictives faites dans le cadre de la logique du premier ordre et dans celui de la théorie des quantificateurs généralisés jusqu’à des utilisations larges, assez proches du langage courant, dans lequel quantifier revient à comparer quantitativement des entités à l’aide de fonctions de dénombrement ou de mesure. Dans les exemples suivants, les expressions en italique sont analysées comme exprimant une quantification : | Le terme ''[[quantification|quantification]]'' est associé en sémantique moderne à un large éventail d’acceptions qui vont des utilisations très restrictives faites dans le cadre de la logique du premier ordre et dans celui de la théorie des quantificateurs généralisés jusqu’à des utilisations larges, assez proches du langage courant, dans lequel quantifier revient à comparer quantitativement des entités à l’aide de fonctions de dénombrement ou de mesure. Dans les exemples suivants, les expressions en italique sont analysées comme exprimant une quantification : | ||
− | (1) | + | {| |
− | + | |(1) || || | |
− | + | | a. || Jean a rencontré ''une centaine de'' personnes|| | |
− | + | |-- | |
+ | | || b. || ''La plupart des'' invités étaient contents | ||
+ | |-- | ||
+ | | || c. || Jean lit ''beaucoup'' | ||
+ | |} | ||
Les outils grammaticaux de la quantification dans les langues naturelles sont très souvent polycatégoriels Ainsi, tout peut précéder un N ou un SN (''toutes choses confondues, tous les étudiants''), mais il peut également occuper des positions normalement réservées à certains adverbes, comme celle qui suit immédiatement le verbe fini (''Ils sont tous partis à minuit'') ou celle qui précède un adjectif ou un adverbe (''Il était tout proche''). Peu, de son côté, peut introduire un SN (''peu d’étudiants''), mais il s’associe également à des adjectifs (''peu fiable'') et à des SV (''aller peu au cinéma''). | Les outils grammaticaux de la quantification dans les langues naturelles sont très souvent polycatégoriels Ainsi, tout peut précéder un N ou un SN (''toutes choses confondues, tous les étudiants''), mais il peut également occuper des positions normalement réservées à certains adverbes, comme celle qui suit immédiatement le verbe fini (''Ils sont tous partis à minuit'') ou celle qui précède un adjectif ou un adverbe (''Il était tout proche''). Peu, de son côté, peut introduire un SN (''peu d’étudiants''), mais il s’associe également à des adjectifs (''peu fiable'') et à des SV (''aller peu au cinéma''). | ||
Ligne 24 : | Ligne 28 : | ||
− | == | + | ==Quantification nominale et logique des prédicats (LP)== |
L’appareil quantificationnel des langues les mieux décrites contient une série d’items qui forment un constituant syntaxique avec une projection nominale. Ces items forment une série assez large, mais en principe fermée, ils exhibent des contraintes combinatoires mutuelles assez nettes et ils occupent une position périphérique par rapport aux compléments et d’autres modifieurs de la tête nominale. | L’appareil quantificationnel des langues les mieux décrites contient une série d’items qui forment un constituant syntaxique avec une projection nominale. Ces items forment une série assez large, mais en principe fermée, ils exhibent des contraintes combinatoires mutuelles assez nettes et ils occupent une position périphérique par rapport aux compléments et d’autres modifieurs de la tête nominale. | ||
− | + | {| | |
− | (2) Tous mes enfants / * Mes tous enfants | + | |(2) Tous mes enfants / * Mes tous enfants |
− | + | |} | |
Version du 8 mai 2006 à 23:37
par Claire Beyssade |
Mots clés : logique des prédicats, théorie des quantificateurs généralisés, structures tripartites, expression référentielle/quantificationnelle, type e / type ((e,t),t), variable libre/liée.
Renvois possibles : déterminant, groupe nominal, portée, donkey-sentences, fort/faible, quantification non sélective, collectif/distributif.
Le terme quantification est associé en sémantique moderne à un large éventail d’acceptions qui vont des utilisations très restrictives faites dans le cadre de la logique du premier ordre et dans celui de la théorie des quantificateurs généralisés jusqu’à des utilisations larges, assez proches du langage courant, dans lequel quantifier revient à comparer quantitativement des entités à l’aide de fonctions de dénombrement ou de mesure. Dans les exemples suivants, les expressions en italique sont analysées comme exprimant une quantification :
(1) | a. | Jean a rencontré une centaine de personnes | |||
b. | La plupart des invités étaient contents | ||||
c. | Jean lit beaucoup |
Les outils grammaticaux de la quantification dans les langues naturelles sont très souvent polycatégoriels Ainsi, tout peut précéder un N ou un SN (toutes choses confondues, tous les étudiants), mais il peut également occuper des positions normalement réservées à certains adverbes, comme celle qui suit immédiatement le verbe fini (Ils sont tous partis à minuit) ou celle qui précède un adjectif ou un adverbe (Il était tout proche). Peu, de son côté, peut introduire un SN (peu d’étudiants), mais il s’associe également à des adjectifs (peu fiable) et à des SV (aller peu au cinéma).
Pour rendre compte de cette possibilité de quantifier sur des objets de nature différente, on peut soit développer un système formel dans lequel la quantification peut porter non seulement sur des entités individuelles mais aussi sur des propriétés (cf. les logiques d'ordre supérieur), soit rester au premier ordre et distinguer parmi les individus différentes "sortes" (comme les espèces, les propriétés, les événéments, ou les instants temporels, les mondes possibles etc) et quantifier sur leurs indices.
Dans les faits, les recherches sémantiques se sont longtemps concentrées presque exclusivement sur la quantification nominale et ses instruments, et c’est elle qui a fournit le modèle pour les analyses ultérieures d’autres types de quantification.
Quantification nominale et logique des prédicats (LP)
L’appareil quantificationnel des langues les mieux décrites contient une série d’items qui forment un constituant syntaxique avec une projection nominale. Ces items forment une série assez large, mais en principe fermée, ils exhibent des contraintes combinatoires mutuelles assez nettes et ils occupent une position périphérique par rapport aux compléments et d’autres modifieurs de la tête nominale.
(2) Tous mes enfants / * Mes tous enfants |
Dans un premier temps, on a tenté de ramener l'analyse de la quantification nominale dans les langues à la quantification logique et même plus précisément à la quantification dans le calcul des prédicats. Les quantificateurs y sont au nombre de deux : le quantificateur existentiel ∃ et le quantificateur universel ∀. Ils sont toujours associés à une variable pour former un préfixe quantificationnel, qui, placé à la gauche d'une formule bien formée, permet d'engendrer une nouvelle formule bien formée.
(3) Si x est une variable et Φ une formule bien formée, ∃xΦ et ∀xΦ sont aussi des formules bien formées.
On définit les conditions de vérité d'une formule comportant un préfixe quantificationnel comme suit1 :
(4) a. ∃xΦ est vraie ssi il existe au moins une valeur v pour x telle que la formule Φ dans laquelle on a remplacé toutes les occurences libres de x par v est vraie.
- b. ∀xΦ est fausse ssi il existe au moins une valeur v pour x telle que la formule Φ dans laquelle on a remplacé toutes les occurences libres de x par v est fausse.
Il s'ensuit que (i) ces deux quantificateurs sont mutuellement réductibles l'un à l'autre à l’aide de la négation (∃xΦ ⇔ ¬∀x¬Φ) et (ii) un préfixe quantificationnel peut s'attacher à des formules de n’importe quel degré de complexité syntaxique, donc éventuellement à des formules comportant déjà des connecteurs logiques et/ou des préfixes quantificationnels. Les préfixes quantificationnels entrent alors dans des interactions extrêmement complexes entre eux et avec les connecteurs propositionnels. Ces interactions sont appelées des interactions de portée ou scope.
Les conditions de vérité d’un grand nombre d’énoncés des langues naturelles peuvent être capturées par le biais d'une "traduction" en logique du premier ordre (LP). Mais il existe des limites à une telle entreprise de traduction.
La première concerne le nombre des quantificateurs : deux dans LP, mais beaucoup plus dans les langues naturelles. Si l'on peut traduire dans LP enrichie du symbole d'égalité les déterminants de cardinalité comme trois, ainsi que les cardinaux modifiés comme au moins deux ou exactement trois, il est en revanche difficile de trouver une traduction satisfaisante pour beaucoup ou quelques, et il a été démontré qu'il n'existe pas de traduction dans LP des déterminants–quantifieurs qui expriment des proportions, comme la plupart des N ou trois quarts des N.
La seconde porte sur la compositionalité de la traduction d'une phrase de la langue en LP. Il n’y a rien en LP qui corresponde au niveau du syntagme nominal. Un nom propre est traduit par une constante, et un nom commun correspond à un prédicat, mais un syntagme nominal peut être traduit, selon le contexte, soit par une constante, soit par une séquence composée d'un préfixe quantificationnel (∃x ou ∀x), d'un prédicat correspondant au N, et d'un connecteur (∧ ou →). Cela pose deux problèmes : (i) il faut déterminer quand traduire un SN par une constante, et quand lui associer une expression quantifiée, et (ii) on introduit une asymétrie dans les traductions (5)a'–b' en LP des phrases existentielles et universelles (5)a-b, alors qu'elles avaient exactement la même structure syntaxique (SN SV) :
(5)
- a. Un homme dort a'. ∃x (H(x) ∧ D(x))
- b. Tout homme dort b'. ∀x (H(x) → D(x))