Focus vs contraste : Différence entre versions

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* Rooth Mats, 1992, A theory of focus interpretation, Natural language semantics 1 : 75-116.
 
* Rooth Mats, 1992, A theory of focus interpretation, Natural language semantics 1 : 75-116.
  
* Vallduví E. & M. Vilkuna 1998, “On Rheme and , ''The Limits of Syntax'', ed. by Peter Culicover and Louise McNally, New-York: Academic Press. 79-108.
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* Vallduví E. & M. Vilkuna 1998, “On Rheme and Kontrast", ''The Limits of Syntax'', ed. by Peter Culicover and Louise McNally, New-York: Academic Press. 79-108.

Version actuelle datée du 7 octobre 2021 à 14:35


par Jean-Marie Marandin


On présente dans cette fiche les relations entre les notions de focus * et de contraste * telles qu’elles émergent des analyses de l’accentuation en anglais. Il est acquis dans la linguistique des années 1960 que les constituants distingués par une mise en majuscules de (1) à (3) présentent une saillance prosodique, qui est appelé focus, et dont l’interprétation pose problème : la question est de savoir si le focus (prosodique) est nécessairement interprété de façon contrastive au sens où son interprétation met en jeu la mise en relation de ce qui est distingué prosodiquement avec des éléments in absentia, qu’on appelle des alternatives.

(1) A: Who did Paul introduce to Sue ?
Qui Paul a-t-il présenté à Sue
B: a. Paul introduced BILL to Sue
b.# Paul introduced Bill to SUE
(2) a. Paul only introduced BILL to Sue
Paul a présenté Bill seulement à Sue
b. Paul only introduced Bill to SUE
Paul a présenté Bill à Sue seulement
(3) A.: Sally made the hamburgers
Sally a préparé les hamburgers
B.: ROnald made the hámburgers (Chafe 1976 : 35)
(non) Ronald a préparé les hamburgers

Tout focus (prosodique) est contrastif

On a proposé que toute accentuation (tout pitch accent de l’anglais) reçoive une interprétation contrastive. Plus exactement, une interprétation plus ou moins contrastive selon que l’ensemble d’alternatives qu’elle est censé évoquer est plus ou moins saillant dans le contexte et que sa réalisation phonétique est plus ou moins marquée. « Grossièrement, tout pic sémantique (every semantic peak) est contrastif. A l’évidence, dans Let's have a picnic (faisons un picnic), présenté comme une suggestion ‘out of the blue’, il n’y a pas de contraste spécifique avec diner, mais il y a un contraste entre faire un picnic et tout autre activité que pourrait faire le groupe. Plus on limite les alternatives, plus on se rapproche de ce qu’on pense être un accent contrastif » (Bolinger, 1961: 87). Si on adopte ce point de vue, on doit analyser la prosodie des constituants porteurs de pitch accent dans (1)-(3) ci-dessus de manière unifiée.


Cette analyse est au coeur de l’analyse que Jackendoff 1972 donne de l’articulation fond focus: le constituant en focus [..] « doit être choisi de manière à ce que soit définie une classe cohérente de contrastes possibles avec le focus, des fragments d’information sémantique (pieces of semantic information) qui aurait pu prendre facilement la place du focus dans la phrase, dans les limites fixées par la langue, le discours et le contexte » (Jackendoff 1972 : 243). Elle constitue ce que Rooth modélise dans le cadre de la sémantique des alternatives * : « J’ai défendu l’idée que le focus prosodique (intonational focus) en anglais a un sens uniforme, qui peut être relié à la notion intuitive de contraste à l’intérieur d’un ensemble d’alternatives. Ce qui permet de donner une interprétation uniforme du focus, c’est un principe interprétatif qui introduit une variable, conçue comme un élement ou un ensemble d’éléments contrastifs » (Rooth, 1992 : 113).

Toute accentuation n’est pas contrastive

De façon contemporaine, certaines analyses de l’accentuation en anglais distinguent des types d’accentuation selon qu’ils sont intrinsèquement contrastifs ou non. On prend ici deux exemples.


Halliday (1967: 207) observe que l'accent nucléaire (associé au marquage du focus informationnel) ne tombe pas sur le dernier constituant de l'énoncé comme on s’y attendrait, quand celui-ci appartient à un système clos (4). Halliday appelle système clos un paradigme lexical contenant peu de membres (mots grammaticaux ou famille lexicale de petite taille).

(4) a. He HURT himself
il s’est blessé lui-même
b. Why don't they PLAY together (Halliday, 1967: 207)
pourquoi ne joue-t-il pas ensemble
c. John painted the SHED yesterday (ibid.: 208)
John a peint l’abri hier

Il propose qu’il en soit ainsi parce que "la saillance prosodique sur un élément appartenant à un système grammaticalement clos est intrinsèquement contrastive » (« prominence in a closed system is inherently contrastive ») (ibid.: 207). Dans les énoncés de (9), le placement de l'accent nucléaire sur himself, together ou yesterday déclencherait automatiquement une lecture contrastive de ces éléments. Si on veut obtenir une valeur non contrastive, l’accent nucléaire doit être réalisé hors de ces termes.


Chomsky met en oeuvre la même figure d’analyse et l’applique aux cas qui échappent à la Nuclear stress rule *. Lorsque l’accent nucléaire de phrase n’est pas à sa place (en fin d’énoncé), il est contrastif (Chomsky, 1971 : 205). C'est ainsi qu'il explique le placement de l'accent dans un exemple comme (5). Ce raisonnement est généralisé dans Ladd 1980 : "Accent in a non-default position is contrastive" (ibid. : 78-79).

(5) John is neither EAsy to please, nor EAger to please, nor CERtain to please
(Chomsky, 1971 : 205).

On observera que l’analyse de Halliday et celle de Chomsky aboutissent à des propositions contradictoires : si les énoncés de (4) sont bien des exceptions à la NSR, le placement de l'accent nucléaire sur hurt, play et shed devrait déclencher une lecture contrastive selon Chomsky, alors qu'Halliday l'explique comme devant prévenir une telle lecture.

De manière générale, l’hypothèse prédit que toute accentuation liée au marquage d'un focus étroit est contrastive. Cette hypothèse reste très courante dans les études empiriques conduites en phonétique et phonologie : on rencontre couramment des études empiriques où les auteurs introduisent la référence explicite à un ensemble d’alternatives dans l’étude du focus informationnel étroit par exemple. Cette pratique introduit une confusion regrettable dans les langues où les formes associées au focus informationnel et celles qui sont associées à une interprétation contrastive (voir la taxinomie des interprétations contrastives dans la fiche contraste) sont distinctes (le français par exemple).

Il y a des accentuations à interprétation contrastive

Que la réalisation prosodique des énoncés (1)-(3) doive faire l’objet d’une analyse unifiée a été remis en cause à la fois du point de vue pragmatique et du point de vue prosodique. Du point de vue pragmatique, on a mis l’accent sur le fait que l’interprétation de ces trois familles de faits n’est pas identique. Du point de vue des formes, on a mis en avant l’existence de formes qui déclenchent spécifiquement une interprétation contrastive. Vallduví & Vilkuna 1998 est l’article de référence de ce point de vue.


Pour l’accentuation de l’anglais, le débat porte sur l’existence, l’emploi et la valeur, de deux pitch accents distincts, analysés comme H* et L+H*. On se reportera à Hetland 2002 qui propose une hypothèse élégante :

– l’accent H* (ou le contour H* L), qui tombe typiquement sur le focus informationnel, peut être associé contextuellement à une interprétation contrastive (un peu à la manière qu’esquisse Bolinger et qui est rappelé au §.1 de cette fiche) ;


– alors que l’accent L+H* (ou le contour L+H* L) est nécessairement associé à une interprétation contrastive : « the fall-rise has the ability to induce a contrastive interpretation also in cases where the discourse context gives no clue that any contrast is intended » (Hetland , 2002 : 172).

Focus (informationnel) et contraste doivent être distingués

Une langue comme le français ne prête pas à confusion : le marquage du focus informationnel implique la position distinguée sur la frontière droite du groupe accentuel (MENthe dans (6) ci-dessous), alors que le marquage du contraste (le contraste lié à l’effet dialogique de topic résiduel (voir S-topic)) met en jeu la position distinguée sur la frontière gauche du groupe accentuel (CIgarettes ci-dessous).

(6) A. : Que fume-t-il ?
(7) B. : (Il fume) (des CIgarettes à la MENthe)

Références

  • Bolinger Dwight, 1961, Contrastive accent and contrastive stress, Language 37-1 : 83-96.
  • Chomsky Noam, 1971, Constraints on transformation, [Anderson S.,& Kiparsky P., eds], Festscchrift for Morris Halle, New-York : Rinehart and Winston.
  • Halliday Michael, 1967, Notes on transitivity and theme in English, part II, Journal of linguistics 3: 199-244.
  • Hetland Jorun, 2002, Accent and the notion of contrast: a cross-linguistic approach, in H. Hasselgard et al. (ed) Information structure in a Cross-linguistic perspective, Amsterdam: 163-178.
  • Jackendoff, R., 1972, Semantic interpretation in Generative Grammar. Cambridge (Ma.). MIT Press.
  • Ladd Robert, 1980,The Structure of Intonational Meaning: Evidence from English. Bloomington: Indiana University Press.
  • Rooth Mats, 1992, A theory of focus interpretation, Natural language semantics 1 : 75-116.
  • Vallduví E. & M. Vilkuna 1998, “On Rheme and Kontrast", The Limits of Syntax, ed. by Peter Culicover and Louise McNally, New-York: Academic Press. 79-108.