Saillance

De Sémanticlopédie
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par Frédéric Landragin


Définition et portée du phénomène

Est saillant ce qui vient en premier à l’esprit, ce qui capte l’attention. Cette propriété, parfois appelée prosexigène (obtrusive en anglais), s’applique aux entités du discours via les caractéristiques lexicales, syntaxiques et sémantiques du discours, auxquelles il faut ajouter les caractéristiques phonétiques et prosodiques dans le cas du discours oral et les caractéristiques visuelles dans le cas du discours écrit. La notion de saillance (salience ou saliency en anglais) est ainsi liée à l’émergence d’une figure sur un fond, que cette émergence soit motivée par des aspects physiques liés à la perception de la parole ou du texte écrit, ou par des aspects plus sémantiques voire cognitifs liés à la compréhension du langage. C’est pourquoi on peut distinguer la saillance physique de la saillance cognitive, de manière à mieux rendre compte de phénomènes qui peuvent jouer dans le même sens ou dans des sens opposés.

Ainsi, si l’on considère l’exemple (1) du point de vue de sa forme, l’utilisation de caractères gras rend l’expression « le long du mur » saillante, comme l’aurait fait à l’oral un accent de focalisation (augmentation de la fréquence fondamentale et de l’intensité). Cette saillance physique explicite entraîne une saillance cognitive, se traduisant par quelque chose comme la phrase (2). Si l’on considère ce même exemple (2) comme un énoncé ne comportant ni accent ni prosodie particulière, aucune saillance physique ne s’identifie. Par contre, son analyse syntaxique rend compte d’un présentatif (ou construction clivée), dont l’utilisation est clairement liée à une mise en saillance, en l’occurrence de l’emplacement « le long du mur ». Il est alors légitime de supposer que cet emplacement deviendra cognitivement saillant pour l’interlocuteur, d’où la notion de saillance cognitive. En considérant maintenant l’exemple (3) où aucun caractère gras ni présentatif n’apparaît, on peut supposer dans un premier temps qu’aucune saillance n’intervient. En fait, toute phrase est la matérialisation d’un certain nombre de choix qui peuvent avoir des conséquences en terme de saillance. Le choix de l’ordre des mots, le choix d’attribuer telle fonction grammaticale ou tel rôle thématique à telle entité, le choix du thème de la phrase, quand ils sont possibles, constituent autant de facteurs potentiels de saillance. Une analyse rapide de l’exemple (3) aboutit ainsi à l’affectation de la plus grande saillance cognitive à l’entité « table », du fait de sa position initiale, de sa fonction grammaticale sujet et de son statut de thème dans la phrase. Comme nous l’avons fait avec le premier exemple, une telle analyse revient à paraphraser (3) par (4).

(1) « La table doit se mettre le long du mur. »
(2) « C’est le long du mur que la table doit se mettre. »
(3) « La table doit se mettre le long du mur. »
(4) « C’est la table qui doit se mettre le long du mur. »

Avec ces considérations, l’exemple (1) conduit schématiquement à une entité physiquement saillante (« le long du mur ») et une autre entité cognitivement saillante (« la table »). On en déduit ainsi qu’il n’y a pas de saillance absolue d’une et une seule entité du discours, mais des saillances relatives des différentes entités, selon des facteurs et des plans d’analyse différents. A l’image de la distinction entre saillance physique et saillance cognitive (Landragin, 2004), c’est ce constat qui a amené certains auteurs à distinguer la saillance perceptive de la saillance conceptuelle (Pattabhiraman & Cercone, 1990), la saillance de la pertinence (Ibid.), ou encore, mais cette fois dans un registre très général, la saillance de la prégnance (Thom, 1988).

C’est d’ailleurs avec le terme de prégnance (Prägnanz en allemand) que les recherches sur ce phénomène trouvent leurs origines dans la Théorie de la Gestalt (Gestalttheorie), appelée aussi psychologie de la forme, et plus précisément dans les travaux de Max Wertheimer concernant la physiologie de la perception visuelle (cf. Guillaume, 1979). C’est dans le domaine de la perception visuelle que la notion de saillance et la distinction entre figure et fond ont été explorées, avec des approches et des objectifs variés. D’une manière générale, l’unité à laquelle s’applique la saillance est le percept, c’est-à-dire un élément visuel distinguable (doté d’un contour, ce qui constitue la différence fondamentale entre figure et fond). Quant aux facteurs de saillance visuelle, ils concernent aussi bien les propriétés physiques des percepts que les aspects cognitifs mis en jeu lors de leur perception. L’apparition du concept de saillance en linguistique est plus tardive et n’est à l’heure actuelle pas l’objet d’un consensus dans la communauté. A l’image des aspects visuels, un premier problème concerne l’identification de l’unité à laquelle s’applique la saillance linguistique. Nos exemples ont mis en jeu le mot ou groupe de mots (voir la lettre) pour la saillance physique dans le cas d’une phrase écrite, le phonème ou groupe de phonèmes pour la saillance physique dans le cas d’un énoncé oral, et l’entité du discours pour la saillance cognitive. Quant aux facteurs de saillance linguistique, nous allons les détailler plus loin en reprenant des éléments de théories dont l’objectif ne se réduit jamais à la saillance, mais porte par exemple sur les anaphores (Sidner, 1979) ou sur la notion de structure informationnelle (Lambrecht, 1994). C’est en effet à travers de telles théories que l’on peut appréhender le concept de saillance.

Les domaines d’application de la saillance linguistique sont variés. Ajouter aux représentations et formalisations sémantiques les aspects de saillance permet tout d’abord de faciliter la résolution des anaphores, en proposant par exemple une solution privilégiée dans les cas ambigus, c’est-à-dire lorsque plusieurs antécédents restent possibles une fois que les contraintes de genre et de nombre ont été prises en compte. Non seulement les anaphores, mais en fait toutes les références sont concernées : une expression référentielle telle que « le N » peut apparaître dans un contexte comportant plusieurs N sans pour autant que l’énoncé soit incompréhensible. Selon les cas, « le N » pourra désigner « le N le plus saillant dans la situation de dialogue », « le N le plus saillant dans le contexte visuel », ou encore « le N le plus saillant compte tenu du but ou de l’activité en cours ». La saillance intervient ainsi lors de l’interprétation du langage, et par conséquent dans les applications correspondantes du domaine du traitement automatique des langues. La production de langage fait elle aussi intervenir la saillance, toute sélection pouvant reposer sur un critère de saillance afin de hiérarchiser les solutions possibles. Certains auteurs comme Pattabhiraman exploitent ce principe pour la sélection lexicale, d’autres l’utilisent pour la détermination d’expressions référentielles à la fois simples et non ambiguës compte tenu du contexte (Stevenson, 2002). D’autre part, la production d’un énoncé peut avoir comme but principal de mettre en saillance une entité donnée. De manière un peu schématique, l’interprétation repose ainsi sur la saillance préalable des entités du discours et des objets perceptibles dans la situation de communication, alors que la production de langage s’attache à gérer, c’est-à-dire à mettre en rapport saillance préalable et saillance nouvelle en fonction du but communicatif recherché. La génération automatique de textes est donc un domaine directement concerné, de même que le dialogue homme-machine qui peut faire intervenir la saillance aussi bien en compréhension qu’en génération. Enfin, les domaines liés au traitement du document numérique (et à l’analyse de l’information en général) peuvent reposer sur la détection et l’exploitation des éléments saillants, qu’il s’agisse d’extraction d’information, de résumé automatique voire de traduction automatique, qu’il s’agisse de textes ou de documents multimedia associant textes, graphiques et images.


Propriétés linguistiques liées à la saillance

En cours de rédaction...


Types d'analyses linguistiques de la saillance

En cours de rédaction...


Références fondamentales

  • Alshawi, H. (1987). Memory and Context for Language Interpretation, Cambridge: Cambridge University Press.
  • Grosz, B.J., Joshi, A.K., Weinstein, S. (1995). Centering: A Framework for Modelling the Local Coherence of Discourse, Computational Linguistics 21(2), pp. 203-225.
  • Guillaume, P. (1979). La psychologie de la forme, Paris : Flammarion.
  • Lambrecht, K. (1994). Information Structure and Sentence Form. Topic, Focus and the Mental Representations of Discourse Referents, Cambridge: Cambridge University Press.
  • Osgood, C.E., Bock, J.K. (1977). Salience and Sentencing: Some Production Principles, In Rosenberg, S. (Ed.), Sentence Production: Developments in Research and Theory, Hillsdale: Erlbaum, pp. 89-140.
  • Sidner, C.L. (1979). Towards a Computational Theory of Definite Anaphora in English Discourse, Ph.D. Thesis, MIT.
  • Thom, R. (1988). Esquisse d’une sémiophysique, InterEditions, Paris.


Discussions et travaux récents

  • Grobet, A. (2002). L’identification des topiques dans les dialogues, Bruxelles : Duculot.

-24.

  • Pattabhiraman, T., Cercone, N. (1990). Selection: Salience, Relevance and the Coupling between Domain-Level Tasks and Text Planning, In Proceedings of the Fifth International Workshop on Natural Language Generation, Dawson, pp. 79-86.
  • Stevenson, R.J. (2002). The Role of Salience in the Production of Referring Expressions, In Van Deemter, K., Kibble, R. (Eds.), Information Sharing: Reference and Presupposition in Language Generation and Interpretation, Stanford: CSLI Publications, pp. 167-192.
  • Wolters, M.K. (2001). Towards Entity Status, Ph.D. Thesis, Bonn University.


Articles connexes