Focus

De Sémanticlopédie
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par Jean-Marie Marandin

Le terme focus est un terme général en anglais qui désigne tout élément distingué dans une configuration quelconque d'éléments. Il a un fort parfum gestaltiste: l'élément que l'on dit être focus ou en focus (focused en anglais) se distingue d'autres éléments qui constituent le fond. Le terme focus est souvent employé dans un sens proche de celui de centre (center) pour désigner l'objet privilégié d'une attitude ou d'un processus cognitif. C'est ainsi qu'on trouve dans les approches de pragmatique non-formelle les notions de focus of attention (Chafe 1974, Dryer 1996), focus of interest (Bolinger 1985), focus of empathy (Kuno 1977) ou focus of contrast (Chafe 1976).


L'emploi de focus en phonologie ou dans les approches de la structure informationnelle découle de cet emploi général. Le terme focalisé ou en focus est souligné (highlighted) parce qu'il se distingue d'autres éléments (comme une figure se détache sur un fond). La mise en relief peut être « horizontale » : c'est le cas d'un accent qui est plus saillant que les accents qui l'entourent. Elle peut être « verticale » : c'est le cas d'un élément qui est en concurrence avec d'autres éléments, ce qu'on appelera des alternatives. La mise en relief verticale, ou encore paradigmatique, est au coeur des débats sur la sémantique du focus informationnnel (voir plus bas) et du contraste. La linguistique de langue française a repris le terme focus dans ses emplois phonologiques et en théorie de la structure informationnnelle.


Dans les approches formelles de la structure informationnelle, le terme focus désigne l'accent nucléaire en anglais, c'est-à-dire l'accent saillant dans un domaine prosodique. La définition du domaine prosodique varie selon les approches, mais la plupart des études de la prosodie de l'anglais admettent qu'il y a un accent nucléaire de phrase, autrement dit que toute phrase présente un accent qui se distingue de tous les autres. C'est le focus prosodique. Le focus prosodique est ancré sur la syllabe distinguée d'une unité lexicale constitutive d'un constituant de la phrase ; cette unité et/ou ce constituant est appelé le porteur du focus (focus exponent).


Par métonymie, le terme focus en est venu à désigner le porteur du focus et ses propriétés, en particulier les propriétés qui sont associées au fait qu'il porte le focus prosodique de l'énoncé ou bien un focus prosodique (dans un domaine inclus dans celui de l'énoncé). On a proposé que l'accent soit lié à la partition informationnelle de l'énoncé, le focus informationnel, qu'il soit lié à la sémantique d'une classe d'adverbes qu'on appelle « sensibles au focus », dans le phénomène dit d’association avec le focus (on emploie parfois le terme de focus quantificationnel) et enfin, qu'il soit lié à l'expression d'un contraste, le focus contrastif ou contraste. Par exemple:

(1) Paul didn't came. Who came ?
paul n'est pas venu. qui est venu?
Only MAry came
seule Mary est venue

Dans (1), on emploie le terme focus pour désigner aussi bien (a) l'accent nucléaire (noté en majuscule) ancré sur la syllabe ma de mary, que (b) l'unité lexicale et/ou le GN Mary, (c) le terme qui résout la question qui est venu ? (on emploie aussi rhème pour référer à ce terme), (d) le terme associé à only et enfin (e) le terme qui entre dans une relation de contraste avec Paul dans ce contexte. On emploie le terme focus aux sens pragmatique ou sémantique illustrés en (1c), (1d) et (1e) sans qu’il soit nécessairement fait référence à une quelconque propriété prosodique.


L'emploi du terme focus est donc susceptible d'ambiguïté (toutes les fois qu'on ne précise pas la nature de son référent). Il ne faut toutefois pas oublier que cette ambiguïté est liée à un état de l'art où focus prosodique, informationnel, quantificationnel et contrastif n'étaient pas distingués et étaient réputés relever d'une théorie unifiée. C’est, par exemple, le coeur de la théorie de la saillance prosodique en anglais proposée par Rooth (Rooth 1996 est une bonne synthèse). On dira que l’emploi du terme focus est un vecteur de confusion lorsqu'on pense que focus prosodique, informationnel, quantificationnel et contrastif doivent être distingués et que l’emploi d’un terme unique fait que l’on regroupe des phénomènes hétérogènes.


La description et l'analyse des phénomènes auxquels réfère le terme focus relève à la fois de la prosodie (en particulier, de la sémantique des différentes dimensions de la prosodie, par exemple de l’accentuation en anglais), de la grammaire des adverbes et de la pragmatique (en particulier, de la théorie de la structure informationnelle si on admet qu'un tel niveau doit être posé dans la grammaire). Et de la syntaxe pour les cadres qui postulent que toutes les caractéristiques de forme ou de sens d'un énoncé doivent être médiatisées par une représentation syntaxique.

Références

  • Chafe Wallace, 1974, Language and consciousness, Language 50-1 : 111-133.
  • Chafe Wallace, 1976, Giveness, contrastiveness, definiteness, subjects, topics and point view, [Charles Li, ed.], Subject and topic, New-York : Academic Press.
  • Dryer Matthew, 1996, Focus, pragmatic presupposition, and activated propositions, Journal of pragmatics 26 : 475-523.
  • Bolinger Dwight, 1985, Two views on accent, Journal of Linguistics 21: 79-123.
  • Kuno Susumu & K. Takami, 1977, Empathy and Syntax, Linguistic Inquiry 8: 627-672.
  • Rooth Mats, 1996, Focus, [Lappin Shalom, ed.] The handbook of contemporary semantic theory : 271-297, Oxford : B. Blackwell.