Antonymie : Différence entre versions

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== Définition générale ==
 
== Définition générale ==
  
Dans la tradition lexicographique, les antonymes sont définis comme
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Dans la tradition lexicographique, les antonymes sont définis comme des mots de sens contraire, et, comme tels, ils paraissent opposés aux [[synonymie|synonymes]]. Mais cette définition est vague à plus d'un titre. D'une part, la notion considérée comme centrale porte tant de noms différents qu'il semble nécessaire de tenter de mettre de l'ordre : contraire, négation, opposition, inversion... D'autre part, l'antonymie partage plusieurs traits avec la synonymie : (1) elle suppose des points communs (sèmes) entre antonymes, et (2) elle existe massivement sous la forme dite partielle : les termes [[polysémie|polysémiques]] peuvent entrer, selon leur sens, dans plusieurs couples antonymiques.
des mots de sens contraire, et, comme tels, ils paraissent opposés aux
 
synonymes. Mais cette définition est vague à plus d'un titre. D'une
 
part, la notion considérée comme centrale porte tant de noms
 
différents qu'il semble nécessaire de tenter de mettre de l'ordre :
 
contraire, négation, opposition, inversion... D'autre part,
 
l'antonymie partage plusieurs traits avec la synonymie : (1) elle
 
suppose des points communs (sèmes) entre antonymes, et (2) elle existe
 
massivement sous la forme dite partielle : les termes polysémiques
 
peuvent entrer, selon leur sens, dans plusieurs couples antonymiques.  
 
  
Nous commençons par revenir sur la négation (logique) pour voir en
+
Nous commençons par revenir sur la [[négation]] (logique) pour voir en détail comment elle permet de définir précisément la relation antonymique (§ 2). Alors équipés des notions d'incompatibilité et de complémentarité, nous pourrons faire intervenir la seconde notion centrale, la [[scalarité]]  3), avant de considérer une notion de réciprocité et son lien lointain avec la négation (§ 4).
détail comment elle permet de définir précisément la relation
 
antonymique (§~\ref{secNegation}). Alors équipés des notions
 
d'incompatibilité et de complémentarité, nous pourrons faire
 
intervenir la seconde notion centrale, la scalarité
 
~\ref{secScalarite}), avant de considérer une notion de réciprocité
 
et son lien lointain avec la négation (§~\ref{secReciprocite}).
 
  
 
Pour circonvenir ce qui relève de la morphologie et ce qui relève de
 
Pour circonvenir ce qui relève de la morphologie et ce qui relève de
 
la lexicologie, divers auteurs commencent implicitement ou
 
la lexicologie, divers auteurs commencent implicitement ou
explicitement \cite{duchacek65.cl,martin76,kocourek82} par distinguer
+
explicitement (Duchacek 65, Martin 76, Kocourek 82) par distinguer une
une notion d'\textsl{antonymie grammaticale}, où l'un des termes de la
+
notion d'''antonymie grammaticale'',  
paire est morphologiquement marqué par un préfixe (\textit{in-},
+
où l'un des termes de la paire est morphologiquement marqué par un
\textit{dé-}, \textit{dis-}, etc.) ou une particule (\textit{non}), et la
+
préfixe (''in-'', ''dé-'', ''anti-'', etc.) ou une particule
notion d'\textsl{antonymie lexicale}, pour laquelle on ne retrouve pas
+
(''non''),
ce genre de marque. Il faut cependant noter que cette distinction
+
et la notion d'''antonymie lexicale'', pour laquelle on ne retrouve pas ce genre de marque. Il faut cependant noter que cette distinction formelle ne correspond pas aux différents cas d'antonymie que nous allons détailler. Nous l'ignorons donc dans la suite de ce texte.
formelle ne correspond pas aux différents cas d'antonymie que nous
 
allons détailler. Nous l'ignorons donc dans la suite de ce texte.
 
  
 +
== {{refa|secNegation}} Rôle de la négation ==
  
 +
Dire que deux termes antonymes sont la négation l'un de l'autre suppose que la négation soit définie pour ces termes. Or dans la plupart des cas, c'est à des ''[[prédicat|prédicats]]'' que l'on s'intéresse lorsqu'on parle d'antonymie : adjectifs, noms, verbes. La négation logique, quant à elle, est définie pour des ''propositions''. Il faut donc, pour parler avec rigueur, faire intervenir les arguments du prédicat : <math>A</math> et <math>A'</math> (prédicats) sont antonymes si lorsqu'ils sont appliqués à un même argument (<math>A(x)</math> et <math>A'(x)</math> pour un certain <math>x</math>), ils donnent des propositions qui sont la négation l'une de l'autre.
  
== Rôle de la négation ==
+
La tradition logique et philosophique a depuis longtemps mis en évidence l'importance de deux principes pour la définition de la négation (Horn 89, p.&nbsp;18). Dans leur formulation moderne, ils sont connus sous le nom de «&nbsp;''loi de contradiction''&nbsp;» (LC), et «&nbsp;''principe du tiers exclu''&nbsp;» (PTE).
  
Dire que deux termes antonymes sont la négation l'un de l'autre
+
LC impose que deux termes qui sont la négation l'un de l'autre ne peuvent être vrais en même temps. Ce principe est évidemment fondamental pour toute définition de la (ou d'une) négation. Un peu moins fondamental est le second principe, PTE, qui peut être paraphrasé en disant que de deux termes liés par une négation, l'un est nécessairement vrai et l'autre faux.
suppose que la négation soit définie pour ces termes. Or dans la
 
plupart des cas, c'est à des \textit{prédicats} que l'on s'intéresse lorsqu'on
 
parle d'antonymie : adjectifs, noms, verbes). Or la négation logique
 
est définie pour des \textit{propositions}. Il faut donc, pour parler avec
 
rigueur, faire intervenir les arguments du prédicat : <math>A</math> et <math>A'</math>
 
(prédicats) sont antonymes si lorsqu'ils sont appliqués à un même
 
argument ($A(x)$ et $A'(x)$ pour un certain $x$),
 
ils donnent des propositions qui sont la négation l'une de l'autre.  
 
  
La tradition logique et philosophique a depuis longtemps mis en
+
On peut définir deux notions à partir de ces principes. Dans la tradition classique, on utilise alors les termes de ''contraire'' et ''contradictoire''. Nous utiliserons de préférence dans la suite les termes d'''incompatibilité'' et de ''complémentarité''.
évidence l'importance de deux principes pour la définition de la
+
<br> Deux termes contraires, par définition, ne peuvent être vrais en même temps, c'est la raison pour laquelle nous proposons d'utiliser le terme d'incompatibilité. En revanche, s'ils ne sont pas soumis à PTE, ils peuvent être faux en même temps, ou, pour le formuler autrement, on peut avoir des situations où ni l'un ni l'autre de deux termes contraires n'est vrai. Deux termes contradictoires, ou complémentaires, quant à eux, sont également incompatibles, mais ils ont en plus grâce à PTE la propriété de «&nbsp;découper&nbsp;» l'univers en deux, puisque l'on est toujours assuré que l'un des deux termes contradictoires est vrai, et l'autre faux, dans toute situation. Le tableau suivant résume cette discussion.
négation \cite[p.~18]{horn89}. Dans leur formulation moderne, ils sont
 
connus
 
sous le nom de «~\textsl{loi de contradiction}~» (LC), et
 
«~\textsl{principe du tiers exclu}~» (PTE).  
 
  
LC impose que deux termes qui sont la négation l'un de l'autre ne
 
peuvent être vrais en même temps. Ce principe est évidemment
 
fondamental pour toute définition de la (ou d'une) négation. Un peu
 
moins fondamental est le second principe, PTE, qui peut être
 
paraphrasé en disant que de deux termes liés par une négation, l'un
 
est nécessairement vrai et l'autre faux.
 
  
On peut définir deux notions à partir de ces principes. Dans la
+
{| class="artable" align="center"
tradition classique, on utilise alors les termes de \textsl{contraire}
+
|-
et \textsl{contradictoire}. Nous utiliserons de préférence dans la
+
| LC (seul) 
suite les termes d'\textsl{incompatibilité} et de
+
| <math>\neg (p \land \neg p)</math>
\textsl{complémentarité}.
+
|
%
+
| Contraire
Deux termes contraires, par définition, ne peuvent être vrais en même
+
| Incompatible
temps, c'est la raison pour laquelle nous proposons d'utiliser le
+
|-
terme d'incompatibilité. En revanche, s'ils ne sont pas soumis à PTE,
+
| LC + PTE  
ils peuvent être faux en même temps, ou, pour le formuler autrement,
+
| <math>\neg (p \land \neg p)</math>
on peut avoir des situations où ni l'un ni l'autre de deux termes
+
| <math>(p \lor \neg p)</math>
contraires n'est vrai. Deux termes contradictoires, ou
+
| Contradictoire
complémentaires, quant à eux, sont également incompatibles, mais ils
+
| Complémentaire
ont en plus grâce à PTE la propriété de «~découper~» l'univers en
+
|}
deux, puisque l'on est toujours assuré que l'un des deux termes
 
contradictoires est vrai, et l'autre faux, dans toute situation. Le
 
tableau suivant résume cette discussion.
 
  
\enumsentence{
 
\hfl \begin{tabular}[t]{lllll}
 
LC (seul) & $¬ (p \land ¬ p)$ & & Contraire &
 
Incompatible \\
 
LC + PTE & $¬ (p \land ¬ p)$ & $(p \lor ¬ p)$ &
 
Contradictoire & Complémentaire \\
 
\end{tabular}
 
\hfl
 
}
 
  
On peut exploiter de différentes manières ces propriétés dans le
+
On peut exploiter de différentes manières ces propriétés dans le domaine de la logique. On peut envisager une logique dont la négation ne vérifie que LC. Dans ce cas, on obtient une logique multi-valuée : en plus de ‘vrai’ ou ‘faux’, un terme dans une telle logique peut n'être ni vrai ni faux, ou indéfini. La négation telle qu'elle est définie en logique du premier ordre classique vérifie les deux propriétés LC et PTE. On peut aussi imaginer un système dans lequel seraient définies deux négations, l'une vérifiant LC seule, et l'autre vérifiant LC et PTE. Dans ce cas, cependant, une seule de ces deux négations est intéressante en tant qu'opération : soit <math>\overline{p} </math> la négation contradictoire de <math>p</math>, et <math>-p</math> la négation contraire de <math>p</math>. <math>\overline{p}</math> est unique et parfaitement défini, une fois <math>p</math> connu. Cette négation fonctionne comme une opération qui permet d'atteindre un terme unique à partir d'un terme donné.
domaine de la logique. On peut envisager une logique dont la négation
+
Ce n'est pas le cas de <math>-p</math>, qui dénote en fait un ensemble : tous les termes qui sont incompatibles avec <math>p</math>. On peut remarquer ici combien l'usage courant est trompeur, puisqu'on dira, par exemple, que ''blanc'' est '''le''' contraire de ''noir'', alors qu'en toute rigueur, il y a d'autres contraires (''i.e.'' incompatibles) de ''noir''.
ne vérifie que LC. Dans ce cas, on obtient une logique multi-valuée :
 
en plus de `vrai' ou `faux', un terme dans une telle logique peut
 
n'être ni vrai ni faux, ou indéfini. La négation telle qu'elle est
 
définie en logique du premier ordre classique vérifie les deux
 
propriétés LC et PTE. On peut aussi imaginer un système dans lequel
 
seraient définies deux négations, l'une vérifiant LC seule, et l'autre
 
vérifiant LC et PTE. Dans ce cas, cependant, une seule de ces deux
 
négations est intéressante en tant qu'opération : soit $\overline{p}$
 
la négation contradictoire de $p$, et $-p$ la négation contraire de
 
$p$. $\overline{p}$ est unique et parfaitement défini, une fois $p$
 
connu. Cette négation fonctionne comme une opération qui permet
 
d'atteindre un terme unique à partir d'un terme donné. Ce n'est pas
 
le cas de $-p$, qui dénote en fait un ensemble : tous les termes
 
qui sont incompatibles avec $p$. On peut remarquer ici combien l'usage
 
courant est trompeur, puisqu'on dira, par exemple, que \e{blanc} est
 
\textit{\textbf{le}} contraire de \e{noir}, alors qu'en toute rigueur,
 
il y a d'autres contraires (i.e. incompatibles) de \e{noir}.
 
  
En ce qui concerne la notion \textbf{d'incompatibilité}, on
+
En ce qui concerne la notion '''d'incompatibilité''', on peut vraisemblablement dire, quelle que soit l'extension réelle que l'on donne à la notion d'antonymie, que deux termes antonymes sont incompatibles : s'il existe incontestablement des cas où le bouillon n'est ''ni chaud ni froid'', il paraît plus délicat d'admettre un énoncé qui le dirait ''à la fois'' ''chaud'' et ''froid''. De même, il paraît difficile de ''monter'' et de ''descendre'' ''en même temps'', ou d'être ''à la fois'' ''marié'' et ''célibataire''.
peut vraisemblablement dire, quelle que soit l'extension réelle que
 
l'on donne à la notion d'antonymie, que deux termes antonymes sont
 
incompatibles : s'il existe incontestablement des cas où le bouillon
 
n'est \e{ni chaud ni froid}, il paraît plus délicat d'admettre un
 
énoncé qui le dirait \textit{à la fois} \e{chaud} et \e{froid}. De
 
même, il paraît difficile de \e{monter} et de \e{descendre} \textit{en
 
même temps}, ou d'être \textit{à la fois} \e{marié} et
 
\e{célibataire}.
 
  
Cependant, il apparaît aussi que cette notion ne peut servir à elle
+
Cependant, il apparaît aussi que cette notion ne peut servir à elle seule à définir l'antonymie, ou une classe d'antonymes : ''camion'' et ''fourchette'' sont incompatibles, au sens strict du mot, et l'on n'est pourtant pas prêt à les considérer comme en relation d'antonymie.
seule à définir l'antonymie, ou une classe d'antonymes : \e{camion} et
 
\e{fourchette} sont incompatibles, au sens strict du mot, et l'on
 
n'est pourtant pas prêt à les considérer comme en relation
 
d'antonymie.
 
%
 
Ce qui manque est l'appartenance des deux termes à un même
 
«~domaine~»~: deux termes contraires sont certes incompatibles, mais
 
ils partagent aussi un certain nombre de traits qui permettent de les
 
placer sur un même «~axe~». Nous revenons dans la section suivante sur
 
cette notion d'axe, ou de domaine, qui n'est ici que très vaguement
 
esquissée.
 
  
Cette appartenance commune à un même domaine est aussi requise pour
+
Ce qui manque est l'appartenance des deux termes à un même «&nbsp;domaine&nbsp;»&nbsp;: deux termes contraires sont certes incompatibles, mais ils partagent aussi un certain nombre de traits qui permettent de les placer sur un même «&nbsp;axe&nbsp;». Nous revenons dans la section suivante sur cette notion d'axe, ou de domaine, qui n'est ici que très vaguement esquissée.
les \textbf{complémentaires}, qui en fait n'existent pas en langue au sens
 
strict du terme, car si les termes \e{bleu} et \e{non bleu} semblent
 
découper le monde en deux ensembles complémentaires, en fait, ils
 
découpent l'ensemble des choses \textit{dont on peut prédiquer la
 
couleur} en deux ensembles complémentaires (et de ce point de vue, on
 
conserve une différence avec les contraires \e{blanc/noir}, car avec
 
ces derniers les deux ensembles ne sont pas complémentaires), mais ne
 
disent rien du reste : manger est-il bleu ou non bleu ? 2 est-il
 
non bleu ? Il faudra dorénavant faire intervenir les restrictions de
 
sélection pour que la définition des complémentaires soit
 
satisfaisante.  
 
  
Les définitions de l'antonymie adoptent plutôt rarement un point de
+
Cette appartenance commune à un même domaine est aussi requise pour les '''complémentaires''', qui en fait n'existent pas en langue au sens strict du terme, car si les termes ''bleu'' et ''non bleu'' semblent découper le monde en deux ensembles complémentaires, en fait, ils découpent l'ensemble des choses ''dont on peut prédiquer la couleur'' en deux ensembles complémentaires (et de ce point de vue, on conserve une différence avec les contraires ''blanc/noir'', car avec ces derniers les deux ensembles ne sont pas complémentaires), mais ne disent rien du reste : manger est-il bleu ou non bleu ? 2 est-il non bleu ? Il faudra dorénavant faire intervenir les restrictions de sélection pour que la définition des complémentaires soit satisfaisante.
vue sémantique, et encore plus rarement un point de vue logique. On
 
trouve cependant ce point de vue dans \cite{mounin74}
 
(s.v. \textsl{contraire}) où l'on fait la distinction décrite
 
plus haut entre incompatibles et complémentaires.%
 
\footnote{Les termes \textsl{contraire} et \textsl{contradictoire}
 
sont largement utilisés par les divers auteurs que nous citons
 
dans ce texte. Cependant, si ces termes font l'objet d'une
 
définition rigoureuse dans le domaine de la logique, leur
 
emploi chez ces auteurs ne reflète pas toujours cette
 
rigueur. C'est la raison pour laquelle nous préférons employer
 
les termes de \textsl{complémentarité} et
 
d'\textsl{incompatibilité} pour faire référence aux notions en
 
jeu. Ces termes apparaissent aussi parfois dans la littérature
 
(\textsl{complémentarité} dans
 
\cite{kocourek82,picoche92} ; %,larousse.lg94} ;
 
\textsl{incompatibilité} dans \cite{picoche92} %,larousse.lg94}
 
--- de manière erronée), mais c'est sous la définition du
 
présent texte que nous les employons.\\ À noter aussi : bien
 
que les termes complémentaires soient aussi incompatibles (par
 
définition), lorsque nous employons le terme d'incompatible,
 
nous faisons référence aux seuls termes incompatibles et
 
\textbf{non} complémentaires.  }
 
%
 
Avec des définitions logiques quelquefois approximatives, on y
 
souligne que les antonymes complémentaires sont relativement aisés à
 
identifier, du fait de l'absence de terme médian (\e{présent\slash
 
absent}, \e{vrai\slash faux}...), alors que les antonymes
 
incompatibles sont plus délicats à utiliser car la négation de l'un
 
n'entraîne pas la vérité de l'autre (\e{\textbf{ne pas} monter}
 
n'implique pas \e{descendre}).
 
  
Cependant, définir l'antonymie en terme de négation n'est jamais
+
Les définitions de l'antonymie adoptent plutôt rarement un point de vue sémantique, et encore plus rarement un point de vue logique. On trouve cependant ce point de vue dans (Mounin 74) (''s.v.'' ''contraire'') l'on fait la distinction décrite plus haut entre incompatibles et complémentaires{{nbpa|1}}.
suffisant, car la relation d'antonymie n'a de sens qu'entre des termes
 
partageant entre eux un certain nombre de traits. C'est sans doute la
 
raison pour laquelle les définitions de l'antonymie font largement
 
usage de la notion d'\textsl{opposition} (de préférence à celle de
 
nnégation), notion qui ne fait pas l'objet d'une définition précise,
 
mais qui semble en effet englober, en plus de la négation, une
 
certaine « familiarité » entre les termes, leur appartenance commune à
 
un «~axe~».
 
  
 +
Avec des définitions logiques quelquefois approximatives, on y souligne que les antonymes complémentaires sont relativement aisés à identifier, du fait de l'absence de terme médian (''présent/ absent'', ''vrai/ faux''...), alors que les antonymes incompatibles sont plus délicats à utiliser car la négation de l'un n'entraîne pas la vérité de l'autre ('''''ne pas''' monter'' n'implique pas ''descendre'').
 +
 +
Cependant, définir l'antonymie en terme de négation n'est jamais suffisant, car la relation d'antonymie n'a de sens qu'entre des termes partageant entre eux un certain nombre de traits. C'est sans doute la raison pour laquelle les définitions de l'antonymie font largement usage de la notion d'''opposition'' (de préférence à celle de nnégation), notion qui ne fait pas l'objet d'une définition précise, mais qui semble en effet englober, en plus de la négation, une certaine « familiarité » entre les termes, leur appartenance commune à un «&nbsp;axe&nbsp;».
  
 
== Scalarité ==
 
== Scalarité ==
  
C'est la notion de \textbf{scalarité} (ou de gradation) qui va
+
C'est la notion de '''[[scalarité]]''' (ou de gradation) qui va permettre d'approcher cette notion d'axe : on distingue en effet les antonymes ''polaires'' et les antonymes ''scalaires'' (par exemple, dans (Mounin 74)). On appelle polaires les antonymes complémentaires (''vivant/mort''), et scalaires les antonymes qui ne sont pas mutuellement exclusifs (''i.e.'' incompatibles) et se situent alors symétriquement placés sur une échelle qui peut comporter des termes médians, l'exemple classique étant donné sous (1) {{nbpa|2}}.
permettre d'approcher cette notion d'axe : on distingue en effet
+
 
les antonymes \textsl{polaires} et les antonymes \textsl{scalaires}
+
:(1) ''brûlant — chaud — tiède — frais — froid — glacial''
(par exemple, dans \cite{mounin74}). On appelle polaires les antonymes
+
 
complémentaires (\e{vivant\slash mort}), et scalaires les antonymes
+
On sait, au moins depuis Sapir, que la notion d'échelle, de gradation, sous-entend, ou, mieux, est sous-tendue par une relation de comparaison. On en déduit la possibilité de mettre en évidence une paire antonyme <math>A</math> et <math>A'</math> au moyen d'un test de comparaison : “X est '''plus''' <math>A</math> que Y" doit impliquer que “Y est '''plus''' <math>A'</math> que X".
qui ne sont pas mutuellement exclusifs (i.e. incompatibles) et se
 
situent alors symétriquement placés sur une échelle qui peut comporter
 
des termes médians, l'exemple classique étant donné sous
 
(\ex{1})\footnote{Bien que ce soit pas souvent discuté à ma
 
  connaissance, il n'est pas évident que les termes soient toujours
 
  symétriquement disposés. Un exemple : \e{certain -- probable --
 
    possible -- incertain -- improbable -- impossible}.}.
 
  
\enumsentence{\label{exEchelle}
+
La pertinence de cette considération n'est pas à démontrer pour ce qui concerne les antonymes scalaires&nbsp;:
\e{brûlant -- chaud -- tiède -- frais -- froid -- glacial}}
 
  
On sait, au moins depuis Sapir, que la notion d'échelle, de gradation,
+
{|
sous-entend, ou, mieux, est sous-tendue par une relation de
+
|-
comparaison. On en déduit la possibilité de mettre en évidence une
+
|
paire antonyme $A$ et $A'$ au moyen d'un test de comparaison : ``X est
+
| Ce papier peint est plus ''clair'' que la moquette
\textbf{plus} $A$ que Y'' doit impliquer que ``Y est \textbf{plus} $A'$
+
|-
que X''. % \cite{larousse.lg94}.
+
| <math>\leftrightarrow</math>
 +
| La moquette est plus ''sombre'' que le papier peint
 +
|}
  
La pertinence de cette considération n'est pas à démontrer pour ce qui
+
Le type scalaire est d'ailleurs le type d'antonymes le plus fréquent, comme le reflète la terminologie la plus courante : en général, le terme d'''antonymie'' désigne à la fois la classe complète et la catégorie particulière des antonymes scalaires (il en va très souvent exactement de même avec le terme ''contraire'').
concerne les an\-to\-ny\-mes scalaires :
 
  
\enumsentence{\begin{tabular}[t]{ll}
+
Le type polaire (complémentaire) est assez souvent signalé comme étant un cas particulier du type scalaire : les antonymes polaires seraient sur une échelle qui n'aurait que deux «&nbsp;barreaux&nbsp;». Ainsi, pour (Picoche 92), la relation d'antonymie complémentaire est la «&nbsp;forme binaire de l'incompatibilité&nbsp;». Il convient cependant de bien distinguer les deux types d'antonymie, en particulier sur la base de leurs propriétés logiques différentes, comme nous l'avons vu. En particulier, le fait que l'échelle ne comporte que deux termes ne doit pas être pris comme le signe d'une relation complémentaire : si l'opposition ''loin/proche'' semble «&nbsp;binaire&nbsp;», on peut cependant parler d'un terme médian ''ni loin ni proche''. Ceci n'est pas vrai de l'opposition ''vivant/mort'', qui constitue une vraie paire d'antonymes polaires.
& Ce papier peint est plus \e{clair} que la moquette\\
 
$\leftrightarrow$ & La moquette est plus \e{sombre} que le papier
 
peint
 
      \end{tabular}
 
}
 
  
Le type scalaire est d'ailleurs le type d'antonymes le plus fréquent,
+
Les échelles qui supportent les antonymes les plus fréquents ont fait l'objet de nombreuses études, qui ont permis de mettre au jour les propriétés suivantes.
comme le reflète la terminologie la plus courante : en
 
général, le terme d'\textsl{antonymie} désigne à la fois la classe
 
complète et la catégorie particulière des antonymes scalaires (il en
 
va très souvent exactement de même avec le terme
 
\textsl{contraire}).
 
  
Le type polaire (complémentaire) est assez souvent signalé comme étant
 
un cas particulier du type scalaire : les antonymes polaires seraient
 
sur une échelle qui n'aurait que deux «~barreaux~». Ainsi, pour
 
\cite{picoche92}, la relation d'antonymie complémentaire est la
 
«~forme binaire de l'incompatibilité~». Il convient cependant de bien
 
distinguer les deux types d'antonymie, en particulier sur
 
la base de leurs propriétés logiques différentes, comme nous l'avons
 
vu. En particulier, le fait que l'échelle ne comporte que deux termes
 
ne doit pas être pris comme le signe d'une relation complémentaire :
 
si l'opposition \e{loin\slash proche} semble «~binaire~», on peut
 
cependant parler d'un terme médian \e{ni loin ni proche}. Ceci n'est
 
pas vrai de l'opposition \e{vivant\slash mort}, qui constitue
 
une vraie paire d'antonymes polaires.
 
  
Les échelles qui supportent les antonymes les plus fréquents ont fait
+
* On peut noter avec (Picoche 92) que l'existence d'échelles implique, comme nous y avons d'ailleurs déjà fait allusion, la présence de terme(s) médian(s). Ces termes médians peuvent être réalisés de trois manières différentes. Ils peuvent être exprimés soit par les procédés morpho-syntaxiques que sont les diverses formes de comparatif et de superlatif, (on retrouve bien entendu la notion de comparaison), ou avec divers adverbes. Ils peuvent aussi être lexicalisés (''tiède'', ''frais'' constituent des termes médians de l'opposition ''chaud/froid''). Ils peuvent enfin être exprimés en niant les deux termes de l'opposition avec la structure ''ni... ni''.
l'objet de nombreuses études, qui ont permis de mettre au jour les
 
propriétés suivantes.  
 
  
\begin{itemize}
+
* Les échelles considérées impliquent le plus souvent plus de deux participants (cf. (1)). Deux types de configuration sont alors observables. Il arrive souvent que les termes de l'échelle s'opposent deux à deux symétriquement par rapport à une position médiane : c'est le cas dans (1), où ''chaud/froid'' sont antonymes au même titre que ''tiède/frais''. Mais il peut se produire aussi que parmi les divers participants à la relation, on observe plutôt une relation d'antonymie entre deux ensembles de termes, sans qu'il soit possible de détailler :  
\item On peut noter avec \cite{picoche92} que l'existence d'échelles
+
 
implique, comme nous y avons d'ailleurs déjà fait allusion, la
+
:(2) maigre/efflanqué/décharné ''vs.''  gros/gras/obèse/corpulent
présence de terme(s) médian(s). Ces termes médians peuvent être
 
réalisés de trois manières différentes. Ils peuvent être exprimés
 
soit par les procédés morpho-syntaxiques que sont les diverses formes
 
de comparatif et de superlatif, (on retrouve bien entendu la notion de
 
comparaison), ou avec divers adverbes. Ils peuvent aussi être
 
lexicalisés (\e{tiède}, \e{frais} constituent des termes médians de
 
l'opposition \e{chaud\slash froid}). Ils peuvent enfin être exprimés
 
en niant les deux termes de l'opposition avec la structure
 
\textit{ni... ni}.
 
\item Les échelles considérées impliquent le plus souvent plus de deux
 
participants (cf. (\ref{exEchelle})). Deux types de configuration
 
sont alors observables. Il arrive souvent que les termes
 
de l'échelle s'opposent deux à deux symétriquement par rapport à une
 
position médiane : c'est le cas dans (\ref{exEchelle}), où
 
\e{chaud\slash froid} sont antonymes au même titre que
 
\e{tiède\slash frais}. Mais il peut se produire aussi que parmi les
 
divers participants à la relation, on observe plutôt une relation
 
d'antonymie entre deux ensembles de termes, sans qu'il soit possible
 
de détailler :  
 
%$\left.\mbox{\begin{tabular}{l}maigre\\efflanqué\\décharné\end{tabular}\rule{1cm}{1cm}}\right)$
 
\enumsentence{
 
$\left.\mbox{\e{\begin{tabular}{l}maigre\\efflanqué\\décharné\end{tabular}}}\right)$
 
\slash\,
 
$\left(\mbox{\e{\begin{tabular}{l}gros\\gras\\obèse\\corpulent\end{tabular}}}\right.$
 
}
 
\end{itemize}
 
  
 
== Réciprocité ==
 
== Réciprocité ==
  
Comme nous l'avons déjà annoncé, on inclut souvent dans la classe des
+
Comme nous l'avons déjà annoncé, on inclut souvent dans la classe des antonymes des termes qui sont reliés par une relation avec laquelle la négation n'a que peu à voir, le plus souvent appelée ''réciprocité''. Comme pour les antonymes scalaires, la relation peut être mise en évidence au moyen d'un test, non pas de comparaison, mais d'inversion (Kocourek 82) parle du caractère ''converse'' de ces antonymes) : X <math>A</math> Y doit être équivalent à Y <math>A'</math> X.
antonymes des termes qui sont reliés par une relation avec laquelle la
+
 
négation n'a que peu à voir, le plus souvent appelée
+
Cette classe d'antonymes est souvent proposée (Picoche 92, Kocourek 82), mais pas toujours cependant&nbsp;: Duchacek 65, Mounin 74) n'en font aucune mention. Jacqueline Picoche (92) fait remarquer que les domaines privilégiés d'apparition d'antonymes réciproques sont celui des échanges (commerce...) et celui des relations parentales (''acheter/vendre'', ''prêter/emprunter'', ''mari/femme''...).
\textsl{réciprocité}. Comme pour les antonymes scalaires, la relation
+
 
peut être mise en évidence au moyen d'un test, non pas de
+
L'assimilation de cette relation de réciprocité à l'antonymie ne laisse pas de surprendre. Il nous semble en effet que cette relation se distingue assez nettement des deux précédentes : elle concerne ainsi essentiellement des processus, ou des résultats de processus, et elle confère un rôle particulier aux ''agents'' (au sens large) en jeu : ''vendre'' n'est le réciproque d'''acheter'' que parce que le «&nbsp;sujet&nbsp;» de l'un est le «&nbsp;destinataire&nbsp;» de l'autre, et réciproquement.
comparaison, mais d'inversion (\cite{kocourek82} parle du caractère
+
 
\textsl{converse} de ces antonymes) : X $A$ Y doit être équivalent à Y $A'$ X.
+
== Synthèse ==
 +
 
 +
On peut dire pour résumer que l'on distingue trois types de relations d'antonymie, en lexicologie (cf. la synthèse proposée dans (Lehmann 98, pp.&nbsp;58-60){{nbpa|3}}&nbsp;:
  
Cette classe d'antonymes est souvent proposée
+
* La relation la plus fréquente, souvent vue comme la notion minimale, est ''''antonymie''', au sens strict. Cette relation s'établit entre des termes de même catégorie syntaxique, incompatibles (au sens défini plus haut), placés à des positions opposées sur un même axe, lequel axe porte une gradation.
\cite{picoche92,kocourek82}, mais pas toujours
+
* Moins nombreux sont les antonymes reliés par une relation de '''complémentarité''' : le trait majeur de cette relation est qu'elle est définie au point de vue sémantique par une négation contradictoire.
cependant : \cite{duchacek65.cl,mounin74} n'en font aucune
+
* Enfin, sont aussi considérés comme antonymes des termes en relation de '''réciprocité''' : le patient de l'un des termes est l'agent de l'autre et réciproquement. Cette classe d'antonymes n'a que peu à voir avec la négation, ou même avec la notion d'opposition. Elle concerne essentiellement des processus (ou des résultats de processus), et plus précisément le rôle des différents agents qui y participent.
mention. Jacqueline Picoche \shortcite{picoche92} fait remarquer que
 
les domaines privilégiés d'apparition d'antonymes réciproques sont
 
celui des échanges (commerce...) et celui des relations parentales
 
(\e{acheter\slash vendre}, \e{prêter\slash emprunter}, \e{mari\slash
 
femme}...).
 
  
L'assimilation de cette relation de réciprocité à l'antonymie ne
+
Les trois types d'antonymie peuvent être mis en évidence au moyen de tests que nous donnons sous (3).{{nbpa|4}}  <math>A</math> et <math>A'</math> représentent les deux termes antonymes, et la notation <math>\neg [\;]</math> représente la négation «&nbsp;phrasale&nbsp;».
laisse pas de surprendre. Il nous semble en effet que cette relation
 
se distingue assez nettement des deux précédentes : elle concerne
 
ainsi essentiellement des processus, ou des résultats de processus, et
 
elle confère un rôle particulier aux \textsl{agents} (au sens large)
 
en jeu : \e{vendre} n'est le réciproque d'\e{acheter} que parce que le
 
«~sujet~» de l'un est le «~destinataire~» de l'autre, et réciproquement.
 
  
On peut trouver en cherchant bien une négation, mais est-ce
 
prédictible ?
 
  
== Synthèse ==
+
{| class="artable" align="center" cellspacing="0"
 +
! class="gbr" | Relation
 +
! class="gbr" colspan="3" align="center" | Modèles de test
 +
! class="gb" | Ex
 +
|-
 +
| class="gr" | Antonymie stricte
 +
| align="center" | X est plus <math>A</math> que Y
 +
| align="center" | <math>\Leftrightarrow</math>
 +
| class="gr" align="center" | Y est plus <math>A'</math> que X
 +
| (6a)
 +
|-
 +
| class="gr" | Complémentarité
 +
| align="center" | X  <math>A</math>
 +
| align="center" | <math>\Leftrightarrow</math>
 +
| class="gr" align="center" | <math>\neg [</math>X<math>A']</math>
 +
| (6b)
 +
|-
 +
| class="gr" | Réciprocité
 +
| align="center" | X  <math>A</math> Y
 +
| align="center" | <math>\Leftrightarrow</math>
 +
| class="gr"  align="center" | Y  <math>A'</math> X
 +
| (6c)
 +
|}
 +
 
 +
 
 +
:(6)a. Pierre est plus ''petit'' que Jean ''vs.'' Jean est plus ''grand'' que Pierre
 +
:(6)b. Pierre est ''absent'' ''vs.'' Pierre n'est pas ''présent''
 +
:(6)c. Pierre est le ''fils'' de Paul ''vs.'' Paul est le ''père'' de Pierre
 +
 
  
On peut dire pour résumer que l'on distingue trois types de relations
+
Au vu de ces tests, on retrouve assez clairement les éléments pré-éminents pour chaque type d'antonyme&nbsp;: la gradation pour l'antonymie stricte, la négation pour la complémentarité, et le caractère converse pour les antonymes réciproques.
d'antonymie, en lexicologie (cf. la synthèse proposée dans
 
\cite[58-60]{lehmann98})\footnote{
 
Avec le même objectif de synthèse, mais dans un esprit légèrement
 
différent, \cite{martin76} montre que l'on peut envisager l'antonymie
 
soit en terme de négation, soit en terme d'inversion. Cependant, les
 
confusions possibles à propos de la négation nous conduisent à
 
préférer une vision moins synthétique mais plus «~opératoire~».} :
 
  
\begin{itemize}
+
Ce que la synthèse que nous venons de faire ne montre pas clairement, c'est l'importance de la notion d'«&nbsp;axe&nbsp;» évoquée ''supra''. Il faut noter en effet la nécessité, pour qu'une paire de termes en opposition puissent revendiquer la qualification d'antonymes, que ces deux termes appartiennent à un même domaine, se placent sur un même axe. Or, il est remarquable que, malgré l'apparente simplicité de cette observation, elle ne soit que très rarement mentionnée, et ne fait pratiquement pas l'objet de discussion, ou d'étude approfondie. On trouve simplement, par exemple dans (Picoche 92, Kocourek 82), une formulation de cette observation en termes de ''sèmes''&nbsp;: ces deux auteurs proposent en effet une définition des antonymes que l'on pourrait (re-)formuler de la manière suivante&nbsp;:
\item
 
La relation la plus fréquente, souvent vue comme la notion minimale,
 
est l'\textbf{antonymie}, au sens strict. Cette relation s'établit
 
entre des termes de même catégorie syntaxique, incompatibles (au sens
 
défini plus haut), placés à des positions opposées sur un même axe,
 
lequel axe porte une gradation.
 
\item
 
Moins nombreux sont les antonymes reliés par une relation de
 
\textbf{complémentarité} : le trait majeur de cette relation est
 
qu'elle est définie au point de vue sémantique par une négation
 
contradictoire.
 
\item
 
Enfin, sont aussi considérés comme antonymes des termes en relation de
 
\textbf{réciprocité} : le patient de l'un des termes est l'agent de
 
l'autre et réciproquement. Cette classe d'antonymes n'a que peu à voir avec
 
la négation, ou même avec la notion d'opposition. Elle concerne
 
essentiellement des processus (ou des résultats de processus), et plus
 
précisément le rôle des différents agents qui y participent.
 
\end{itemize}
 
  
Les trois types d'antonymie peuvent être mis en évidence au moyen de
+
:(7) ''Deux termes sont '''antonymes''' si
tests que nous donnons sous (\ref{exTests}).\footnote{La formulation
+
:* ils ont certains sèmes en commun
que nous en donnons ici est approximative, pour deux raisons au
+
:* leurs sèmes non communs sont en opposition
moins. D'une part, l'équivalence représentée par le symbole
 
$\Longleftrightarrow$ mériterait une définition précise. Il s'agit
 
d'une équivalence paraphrastique, toujours délicate à
 
garantir. D'autre part, comme on peut le voir avec les exemples donnés
 
sous (\ref{exTestACR}), les modèles donnés sont loin d'avoir la
 
généralité nécessaire, et ne peuvent être vus que comme des exemples,
 
des généralisations partielles.}  $A$ et $A'$ représentent les deux
 
termes antonymes, et la notation $¬ [\;]$ représente la négation
 
«~phrasale~».
 
  
\enumsentence{
+
Cette définition fait bien apparaître les deux points sur lesquels nous voulons conclure. D'une part, la notion d'antonymie repose sur une notion sous-jacente d'''opposition'', que nous venons d'explorer, et qui se révèle assez riche (ou assez floue) pour regrouper les types d'antonymie que nous avons décrits. D'autre part, on peut dire que les antonymes, avant de s'opposer, doivent se «&nbsp;ressembler&nbsp;» : nous n'avons pratiquement rien dit de cet aspect, reflétant la relative pauvreté de la littérature sur la question. C'est sans doute une notion qui mériterait des études plus approfondies, car elle occupe une position centrale en lexicologie.
\label{exTests}
 
\begin{tabular}[t]{l|ccc|l}
 
\hfl Relation \hfl & \multicolumn{3}{c|}{modèles de test}& Ex\\
 
\hline
 
Antonymie stricte &
 
X est plus $A$ que Y & $\Longleftrightarrow$ &
 
Y est plus $A'$ que X &(\ref{exTestA})\\
 
Complémentarité &
 
X $A$ & $\Longleftrightarrow$ &  
 
$¬$ [ X $A'$ ] &(\ref{exTestC})\\
 
Réciprocité &
 
X $A$ Y & $\Longleftrightarrow$ &
 
Y $A'$ X &(\ref{exTestR})\\
 
\end{tabular}
 
}
 
  
\eenumsentence{\label{exTestACR}
+
== Notes ==
\cmpct
 
\item \label{exTestA} Pierre est plus \e{petit} que Jean
 
\hphantom{xx}\textit{vs.}\hphantom{xx}
 
Jean est plus \e{grand} que Pierre
 
\item \label{exTestC} Pierre est \e{absent}
 
\hphantom{xx}\textit{vs.}\hphantom{xx}
 
Pierre n'est pas \e{présent}
 
\item \label{exTestR} Pierre est le \e{fils} de Paul
 
\hphantom{xx}\textit{vs.}\hphantom{xx}
 
Paul est le \e{père} de Pierre
 
}
 
  
Au vu de ces tests, on retrouve assez clairement les éléments
+
{{nbp|1}} Les termes '''contraire''' et '''contradictoire''' sont largement utilisés par les divers auteurs que nous citons dans ce texte. Cependant, si ces termes font l'objet d'une définition rigoureuse dans le domaine de la logique, leur emploi chez ces auteurs ne reflète pas toujours cette rigueur. C'est la raison pour laquelle nous préférons employer les termes de '''complémentarité''' et d''''incompatibilité''' pour faire référence aux notions en jeu. Ces termes apparaissent aussi parfois dans la littérature ('''complémentarité''' dans (Kocourek 82, Picoche 92)&nbsp;; '''incompatibilité''' dans (Picoche 92) — de manière erronée), mais c'est sous la définition du présent texte que nous les employons. <br>À noter aussi : bien que les termes complémentaires soient aussi incompatibles (par définition), lorsque nous employons le terme d'incompatible, nous faisons référence aux seuls termes incompatibles et '''non''' complémentaires.
pré-éminents pour chaque type d'antonyme : la gradation pour
 
l'antonymie stricte, la négation pour la complémentarité, et le
 
caractère converse pour les antonymes réciproques.
 
  
Ce que la synthèse que nous venons de faire ne montre pas clairement,
+
{{nbp|2}} Bien que ce soit pas souvent discuté à ma connaissance, il n'est pas évident que les termes soient toujours symétriquement disposés. Un exemple : ''certain — probable — possible — incertain — improbable — impossible''.
c'est l'importance de la notion d'«~axe~» évoquée \textit{supra}. Il
 
faut noter en effet la nécessité, pour qu'une paire de termes en
 
opposition puissent revendiquer la qualification d'antonymes, que ces
 
deux termes appartiennent à un même domaine, se placent sur un même
 
axe%
 
%% \footnote{Les axes en question sont soigneusement listés par divers
 
%% auteurs, comme par exemple \cite{duchacek65.cl} :
 
%% \begin{itemize}
 
%% \cmpct
 
%% \item les qualités : \e{beauté\slash laideur}, \e{bon\slash mauvais},
 
%% \e{vite\slash lentement} ;
 
%% \item les quantités : \e{majorité\slash minorité}, \e{court\slash long},
 
%% \e{peu\slash beaucoup} ;
 
%% \item les appréciations : \e{vérité\slash mensonge}, \e{avoir raison\slash avoir
 
%% tort} ;
 
%% \item les états : \e{dormir\slash veiller}, \e{sommeil\slash veille} ;
 
%% \item les changements d'état : \e{embellir\slash enlaidir} ;
 
%% \item les actions : \e{monter\slash descendre} ;
 
%% \item les changements d'action : \e{s'arrêter\slash se mettre en marche} ;
 
%% \item les relations spatiales : \e{entrée\slash sortir}, \e{présent\slash absent},
 
%% \e{devant\slash derrière}, \e{en bas\slash en haut} ;
 
%% \item les relations temporelles : \e{commencement\slash fin},
 
%% \e{tôt\slash tard}, \e{avant\slash après}, \e{toujours\slash jamais}
 
%% \end{itemize}
 
%% Mais le fait de faire de telles listes, par ailleurs incomplètes, n'a
 
%% qu'une très faible valeur prédictive ou opératoire.}%
 
. Or, il est
 
remarquable que, malgré l'apparente simplicité de cette observation,
 
elle ne soit que très rarement mentionnée, et ne fait pratiquement pas
 
l'objet de discussion, ou d'étude approfondie. On trouve simplement,
 
par exemple dans \cite{picoche92,kocourek82}, une formulation de cette
 
observation en termes de \textsl{sèmes} : ces deux auteurs proposent
 
en effet une définition des antonymes que l'on pourrait (re-)formuler
 
de la manière suivante :
 
  
\enumsentence{\label{defAntonymeLexico} \textsl{Deux termes sont
+
{{nbp|3}} Avec le même objectif de synthèse, mais dans un esprit légèrement différent, (Martin 76) montre que l'on peut envisager l'antonymie soit en terme de négation, soit en terme d'inversion. Cependant, les confusions possibles à propos de la négation nous conduisent à préférer une vision moins synthétique mais plus «&nbsp;opératoire&nbsp;».
\textbf{antonymes} si \\ \hphantom{xxxxxxxxx}-- ils
 
ont certains sèmes en commun\\ \hphantom{xxxxxxxxx}-- leurs sèmes non
 
communs sont en opposition }}
 
  
Cette définition fait bien apparaître les deux points sur lesquels
+
{{nbp|4}} La formulation que nous en donnons ici est approximative, pour deux raisons au moins. D'une part, l'équivalence représentée par le symbole <math>\Leftrightarrow</math> mériterait une définition précise. Il s'agit d'une équivalence paraphrastique, toujours délicate à garantir. D'autre part, comme on peut le voir avec les exemples donnés sous (XXX), les modèles donnés sont loin d'avoir la généralité nécessaire, et ne peuvent être vus que comme des exemples, des généralisations partielles.
nous voulons conclure. D'une part, la notion d'antonymie repose sur
 
une notion sous-jacente d'\textsl{opposition}, que nous venons
 
d'explorer, et qui se révèle assez riche (ou assez floue) pour
 
regrouper les types d'antonymie que nous avons décrits. D'autre part,
 
on peut dire que les antonymes, avant de s'opposer, doivent se
 
«~ressembler~» : nous n'avons pratiquement rien dit de cet aspect,
 
reflétant la relative pauvreté de la littérature sur la
 
question. C'est sans doute une notion qui
 
mériterait des études plus approfondies, car elle occupe une position
 
centrale en lexicologie.  
 
  
 
== Références ==
 
== Références ==
 +
 +
* {{Refa|cruse86}} [Cruse, 1986] D. Alan Cruse. ''Lexical Semantics''. Cambridge University Press, Cambridge, UK, 1986.
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 +
* {{Refa|duchacek65}} [Duchàcek, 1965] Otto Duchàcek. Sur quelques problèmes de l'antonymie. ''Cahiers de lexicologie'', 6:55-66, 1965.
 +
 +
* [Horn, 1989] Laurence R. Horn. ''A Natural History of Negation''. The University of Chicago Press, Chicago, 1989.
 +
 +
* [Kleiber, 1976] Georges Kleiber. Adjectifs antonymes : Comparaison implicite et comparaison explicite. ''TraLiPhi (Travaux de Linguistique et de Philologie)'', XIV(1) :277-326, 1976.
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 +
* [Kocourek, 1982] Rotislav Kocourek. ''La langue française de la technique et de la science''. Oscar Brandstetter Verlag, Wiesbaden, 1982.
 +
 +
* [Lehmann et Martin-Berthet, 1998] Alise Lehmann et Françoise Martin-Berthet. ''Introduction à la Lexicologie. Sémantique et Morphologie.'' Lettres Sup. Dunod, Paris, 1998.
 +
 +
* [Martin, 1976] Robert Martin. ''Inférence, antonymie et paraphrase''. Klincksieck, Paris, 1976.
 +
 +
* [Mounin, 1974] Georges Mounin. ''Dictionnaire de la linguistique''. Presses Universitaires de France, Paris, 1974.
 +
 +
* [Picoche, 1992] Jacqueline Picoche. ''Précis de lexicologie française''. L'étude et l'enseignement du vocabulaire. Nathan, Paris, 1992.

Version actuelle datée du 7 octobre 2021 à 14:05

par Pascal Amsili

Définition générale

Dans la tradition lexicographique, les antonymes sont définis comme des mots de sens contraire, et, comme tels, ils paraissent opposés aux synonymes. Mais cette définition est vague à plus d'un titre. D'une part, la notion considérée comme centrale porte tant de noms différents qu'il semble nécessaire de tenter de mettre de l'ordre : contraire, négation, opposition, inversion... D'autre part, l'antonymie partage plusieurs traits avec la synonymie : (1) elle suppose des points communs (sèmes) entre antonymes, et (2) elle existe massivement sous la forme dite partielle : les termes polysémiques peuvent entrer, selon leur sens, dans plusieurs couples antonymiques.

Nous commençons par revenir sur la négation (logique) pour voir en détail comment elle permet de définir précisément la relation antonymique (§ 2). Alors équipés des notions d'incompatibilité et de complémentarité, nous pourrons faire intervenir la seconde notion centrale, la scalarité (§ 3), avant de considérer une notion de réciprocité et son lien lointain avec la négation (§ 4).

Pour circonvenir ce qui relève de la morphologie et ce qui relève de la lexicologie, divers auteurs commencent implicitement ou explicitement (Duchacek 65, Martin 76, Kocourek 82) par distinguer une notion d'antonymie grammaticale, où l'un des termes de la paire est morphologiquement marqué par un préfixe (in-, dé-, anti-, etc.) ou une particule (non), et la notion d'antonymie lexicale, pour laquelle on ne retrouve pas ce genre de marque. Il faut cependant noter que cette distinction formelle ne correspond pas aux différents cas d'antonymie que nous allons détailler. Nous l'ignorons donc dans la suite de ce texte.

Rôle de la négation

Dire que deux termes antonymes sont la négation l'un de l'autre suppose que la négation soit définie pour ces termes. Or dans la plupart des cas, c'est à des prédicats que l'on s'intéresse lorsqu'on parle d'antonymie : adjectifs, noms, verbes. La négation logique, quant à elle, est définie pour des propositions. Il faut donc, pour parler avec rigueur, faire intervenir les arguments du prédicat : <math>A</math> et <math>A'</math> (prédicats) sont antonymes si lorsqu'ils sont appliqués à un même argument (<math>A(x)</math> et <math>A'(x)</math> pour un certain <math>x</math>), ils donnent des propositions qui sont la négation l'une de l'autre.

La tradition logique et philosophique a depuis longtemps mis en évidence l'importance de deux principes pour la définition de la négation (Horn 89, p. 18). Dans leur formulation moderne, ils sont connus sous le nom de « loi de contradiction » (LC), et « principe du tiers exclu » (PTE).

LC impose que deux termes qui sont la négation l'un de l'autre ne peuvent être vrais en même temps. Ce principe est évidemment fondamental pour toute définition de la (ou d'une) négation. Un peu moins fondamental est le second principe, PTE, qui peut être paraphrasé en disant que de deux termes liés par une négation, l'un est nécessairement vrai et l'autre faux.

On peut définir deux notions à partir de ces principes. Dans la tradition classique, on utilise alors les termes de contraire et contradictoire. Nous utiliserons de préférence dans la suite les termes d'incompatibilité et de complémentarité.
Deux termes contraires, par définition, ne peuvent être vrais en même temps, c'est la raison pour laquelle nous proposons d'utiliser le terme d'incompatibilité. En revanche, s'ils ne sont pas soumis à PTE, ils peuvent être faux en même temps, ou, pour le formuler autrement, on peut avoir des situations où ni l'un ni l'autre de deux termes contraires n'est vrai. Deux termes contradictoires, ou complémentaires, quant à eux, sont également incompatibles, mais ils ont en plus grâce à PTE la propriété de « découper » l'univers en deux, puisque l'on est toujours assuré que l'un des deux termes contradictoires est vrai, et l'autre faux, dans toute situation. Le tableau suivant résume cette discussion.


LC (seul) <math>\neg (p \land \neg p)</math> Contraire Incompatible
LC + PTE <math>\neg (p \land \neg p)</math> <math>(p \lor \neg p)</math> Contradictoire Complémentaire


On peut exploiter de différentes manières ces propriétés dans le domaine de la logique. On peut envisager une logique dont la négation ne vérifie que LC. Dans ce cas, on obtient une logique multi-valuée : en plus de ‘vrai’ ou ‘faux’, un terme dans une telle logique peut n'être ni vrai ni faux, ou indéfini. La négation telle qu'elle est définie en logique du premier ordre classique vérifie les deux propriétés LC et PTE. On peut aussi imaginer un système dans lequel seraient définies deux négations, l'une vérifiant LC seule, et l'autre vérifiant LC et PTE. Dans ce cas, cependant, une seule de ces deux négations est intéressante en tant qu'opération : soit <math>\overline{p} </math> la négation contradictoire de <math>p</math>, et <math>-p</math> la négation contraire de <math>p</math>. <math>\overline{p}</math> est unique et parfaitement défini, une fois <math>p</math> connu. Cette négation fonctionne comme une opération qui permet d'atteindre un terme unique à partir d'un terme donné. Ce n'est pas le cas de <math>-p</math>, qui dénote en fait un ensemble : tous les termes qui sont incompatibles avec <math>p</math>. On peut remarquer ici combien l'usage courant est trompeur, puisqu'on dira, par exemple, que blanc est le contraire de noir, alors qu'en toute rigueur, il y a d'autres contraires (i.e. incompatibles) de noir.

En ce qui concerne la notion d'incompatibilité, on peut vraisemblablement dire, quelle que soit l'extension réelle que l'on donne à la notion d'antonymie, que deux termes antonymes sont incompatibles : s'il existe incontestablement des cas où le bouillon n'est ni chaud ni froid, il paraît plus délicat d'admettre un énoncé qui le dirait à la fois chaud et froid. De même, il paraît difficile de monter et de descendre en même temps, ou d'être à la fois marié et célibataire.

Cependant, il apparaît aussi que cette notion ne peut servir à elle seule à définir l'antonymie, ou une classe d'antonymes : camion et fourchette sont incompatibles, au sens strict du mot, et l'on n'est pourtant pas prêt à les considérer comme en relation d'antonymie.

Ce qui manque est l'appartenance des deux termes à un même « domaine » : deux termes contraires sont certes incompatibles, mais ils partagent aussi un certain nombre de traits qui permettent de les placer sur un même « axe ». Nous revenons dans la section suivante sur cette notion d'axe, ou de domaine, qui n'est ici que très vaguement esquissée.

Cette appartenance commune à un même domaine est aussi requise pour les complémentaires, qui en fait n'existent pas en langue au sens strict du terme, car si les termes bleu et non bleu semblent découper le monde en deux ensembles complémentaires, en fait, ils découpent l'ensemble des choses dont on peut prédiquer la couleur en deux ensembles complémentaires (et de ce point de vue, on conserve une différence avec les contraires blanc/noir, car avec ces derniers les deux ensembles ne sont pas complémentaires), mais ne disent rien du reste : manger est-il bleu ou non bleu ? 2 est-il non bleu ? Il faudra dorénavant faire intervenir les restrictions de sélection pour que la définition des complémentaires soit satisfaisante.

Les définitions de l'antonymie adoptent plutôt rarement un point de vue sémantique, et encore plus rarement un point de vue logique. On trouve cependant ce point de vue dans (Mounin 74) (s.v. contraire) où l'on fait la distinction décrite plus haut entre incompatibles et complémentaires1.

Avec des définitions logiques quelquefois approximatives, on y souligne que les antonymes complémentaires sont relativement aisés à identifier, du fait de l'absence de terme médian (présent/ absent, vrai/ faux...), alors que les antonymes incompatibles sont plus délicats à utiliser car la négation de l'un n'entraîne pas la vérité de l'autre (ne pas monter n'implique pas descendre).

Cependant, définir l'antonymie en terme de négation n'est jamais suffisant, car la relation d'antonymie n'a de sens qu'entre des termes partageant entre eux un certain nombre de traits. C'est sans doute la raison pour laquelle les définitions de l'antonymie font largement usage de la notion d'opposition (de préférence à celle de nnégation), notion qui ne fait pas l'objet d'une définition précise, mais qui semble en effet englober, en plus de la négation, une certaine « familiarité » entre les termes, leur appartenance commune à un « axe ».

Scalarité

C'est la notion de scalarité (ou de gradation) qui va permettre d'approcher cette notion d'axe : on distingue en effet les antonymes polaires et les antonymes scalaires (par exemple, dans (Mounin 74)). On appelle polaires les antonymes complémentaires (vivant/mort), et scalaires les antonymes qui ne sont pas mutuellement exclusifs (i.e. incompatibles) et se situent alors symétriquement placés sur une échelle qui peut comporter des termes médians, l'exemple classique étant donné sous (1) 2.

(1) brûlant — chaud — tiède — frais — froid — glacial

On sait, au moins depuis Sapir, que la notion d'échelle, de gradation, sous-entend, ou, mieux, est sous-tendue par une relation de comparaison. On en déduit la possibilité de mettre en évidence une paire antonyme <math>A</math> et <math>A'</math> au moyen d'un test de comparaison : “X est plus <math>A</math> que Y" doit impliquer que “Y est plus <math>A'</math> que X".

La pertinence de cette considération n'est pas à démontrer pour ce qui concerne les antonymes scalaires :

Ce papier peint est plus clair que la moquette
<math>\leftrightarrow</math> La moquette est plus sombre que le papier peint

Le type scalaire est d'ailleurs le type d'antonymes le plus fréquent, comme le reflète la terminologie la plus courante : en général, le terme d'antonymie désigne à la fois la classe complète et la catégorie particulière des antonymes scalaires (il en va très souvent exactement de même avec le terme contraire).

Le type polaire (complémentaire) est assez souvent signalé comme étant un cas particulier du type scalaire : les antonymes polaires seraient sur une échelle qui n'aurait que deux « barreaux ». Ainsi, pour (Picoche 92), la relation d'antonymie complémentaire est la « forme binaire de l'incompatibilité ». Il convient cependant de bien distinguer les deux types d'antonymie, en particulier sur la base de leurs propriétés logiques différentes, comme nous l'avons vu. En particulier, le fait que l'échelle ne comporte que deux termes ne doit pas être pris comme le signe d'une relation complémentaire : si l'opposition loin/proche semble « binaire », on peut cependant parler d'un terme médian ni loin ni proche. Ceci n'est pas vrai de l'opposition vivant/mort, qui constitue une vraie paire d'antonymes polaires.

Les échelles qui supportent les antonymes les plus fréquents ont fait l'objet de nombreuses études, qui ont permis de mettre au jour les propriétés suivantes.


  • On peut noter avec (Picoche 92) que l'existence d'échelles implique, comme nous y avons d'ailleurs déjà fait allusion, la présence de terme(s) médian(s). Ces termes médians peuvent être réalisés de trois manières différentes. Ils peuvent être exprimés soit par les procédés morpho-syntaxiques que sont les diverses formes de comparatif et de superlatif, (on retrouve bien entendu la notion de comparaison), ou avec divers adverbes. Ils peuvent aussi être lexicalisés (tiède, frais constituent des termes médians de l'opposition chaud/froid). Ils peuvent enfin être exprimés en niant les deux termes de l'opposition avec la structure ni... ni.
  • Les échelles considérées impliquent le plus souvent plus de deux participants (cf. (1)). Deux types de configuration sont alors observables. Il arrive souvent que les termes de l'échelle s'opposent deux à deux symétriquement par rapport à une position médiane : c'est le cas dans (1), où chaud/froid sont antonymes au même titre que tiède/frais. Mais il peut se produire aussi que parmi les divers participants à la relation, on observe plutôt une relation d'antonymie entre deux ensembles de termes, sans qu'il soit possible de détailler :
(2) maigre/efflanqué/décharné vs. gros/gras/obèse/corpulent

Réciprocité

Comme nous l'avons déjà annoncé, on inclut souvent dans la classe des antonymes des termes qui sont reliés par une relation avec laquelle la négation n'a que peu à voir, le plus souvent appelée réciprocité. Comme pour les antonymes scalaires, la relation peut être mise en évidence au moyen d'un test, non pas de comparaison, mais d'inversion (Kocourek 82) parle du caractère converse de ces antonymes) : X <math>A</math> Y doit être équivalent à Y <math>A'</math> X.

Cette classe d'antonymes est souvent proposée (Picoche 92, Kocourek 82), mais pas toujours cependant : Duchacek 65, Mounin 74) n'en font aucune mention. Jacqueline Picoche (92) fait remarquer que les domaines privilégiés d'apparition d'antonymes réciproques sont celui des échanges (commerce...) et celui des relations parentales (acheter/vendre, prêter/emprunter, mari/femme...).

L'assimilation de cette relation de réciprocité à l'antonymie ne laisse pas de surprendre. Il nous semble en effet que cette relation se distingue assez nettement des deux précédentes : elle concerne ainsi essentiellement des processus, ou des résultats de processus, et elle confère un rôle particulier aux agents (au sens large) en jeu : vendre n'est le réciproque d'acheter que parce que le « sujet » de l'un est le « destinataire » de l'autre, et réciproquement.

Synthèse

On peut dire pour résumer que l'on distingue trois types de relations d'antonymie, en lexicologie (cf. la synthèse proposée dans (Lehmann 98, pp. 58-60)3 :

  • La relation la plus fréquente, souvent vue comme la notion minimale, est 'antonymie, au sens strict. Cette relation s'établit entre des termes de même catégorie syntaxique, incompatibles (au sens défini plus haut), placés à des positions opposées sur un même axe, lequel axe porte une gradation.
  • Moins nombreux sont les antonymes reliés par une relation de complémentarité : le trait majeur de cette relation est qu'elle est définie au point de vue sémantique par une négation contradictoire.
  • Enfin, sont aussi considérés comme antonymes des termes en relation de réciprocité : le patient de l'un des termes est l'agent de l'autre et réciproquement. Cette classe d'antonymes n'a que peu à voir avec la négation, ou même avec la notion d'opposition. Elle concerne essentiellement des processus (ou des résultats de processus), et plus précisément le rôle des différents agents qui y participent.

Les trois types d'antonymie peuvent être mis en évidence au moyen de tests que nous donnons sous (3).4 <math>A</math> et <math>A'</math> représentent les deux termes antonymes, et la notation <math>\neg [\;]</math> représente la négation « phrasale ».


Relation Modèles de test Ex
Antonymie stricte X est plus <math>A</math> que Y <math>\Leftrightarrow</math> Y est plus <math>A'</math> que X (6a)
Complémentarité X <math>A</math> <math>\Leftrightarrow</math> <math>\neg [</math>X<math>A']</math> (6b)
Réciprocité X <math>A</math> Y <math>\Leftrightarrow</math> Y <math>A'</math> X (6c)


(6)a. Pierre est plus petit que Jean vs. Jean est plus grand que Pierre
(6)b. Pierre est absent vs. Pierre n'est pas présent
(6)c. Pierre est le fils de Paul vs. Paul est le père de Pierre


Au vu de ces tests, on retrouve assez clairement les éléments pré-éminents pour chaque type d'antonyme : la gradation pour l'antonymie stricte, la négation pour la complémentarité, et le caractère converse pour les antonymes réciproques.

Ce que la synthèse que nous venons de faire ne montre pas clairement, c'est l'importance de la notion d'« axe » évoquée supra. Il faut noter en effet la nécessité, pour qu'une paire de termes en opposition puissent revendiquer la qualification d'antonymes, que ces deux termes appartiennent à un même domaine, se placent sur un même axe. Or, il est remarquable que, malgré l'apparente simplicité de cette observation, elle ne soit que très rarement mentionnée, et ne fait pratiquement pas l'objet de discussion, ou d'étude approfondie. On trouve simplement, par exemple dans (Picoche 92, Kocourek 82), une formulation de cette observation en termes de sèmes : ces deux auteurs proposent en effet une définition des antonymes que l'on pourrait (re-)formuler de la manière suivante :

(7) Deux termes sont antonymes si
  • ils ont certains sèmes en commun
  • leurs sèmes non communs sont en opposition

Cette définition fait bien apparaître les deux points sur lesquels nous voulons conclure. D'une part, la notion d'antonymie repose sur une notion sous-jacente d'opposition, que nous venons d'explorer, et qui se révèle assez riche (ou assez floue) pour regrouper les types d'antonymie que nous avons décrits. D'autre part, on peut dire que les antonymes, avant de s'opposer, doivent se « ressembler » : nous n'avons pratiquement rien dit de cet aspect, reflétant la relative pauvreté de la littérature sur la question. C'est sans doute une notion qui mériterait des études plus approfondies, car elle occupe une position centrale en lexicologie.

Notes

1 Les termes contraire et contradictoire sont largement utilisés par les divers auteurs que nous citons dans ce texte. Cependant, si ces termes font l'objet d'une définition rigoureuse dans le domaine de la logique, leur emploi chez ces auteurs ne reflète pas toujours cette rigueur. C'est la raison pour laquelle nous préférons employer les termes de complémentarité et d'incompatibilité pour faire référence aux notions en jeu. Ces termes apparaissent aussi parfois dans la littérature (complémentarité dans (Kocourek 82, Picoche 92) ; incompatibilité dans (Picoche 92) — de manière erronée), mais c'est sous la définition du présent texte que nous les employons.
À noter aussi : bien que les termes complémentaires soient aussi incompatibles (par définition), lorsque nous employons le terme d'incompatible, nous faisons référence aux seuls termes incompatibles et non complémentaires.

2 Bien que ce soit pas souvent discuté à ma connaissance, il n'est pas évident que les termes soient toujours symétriquement disposés. Un exemple : certain — probable — possible — incertain — improbable — impossible.

3 Avec le même objectif de synthèse, mais dans un esprit légèrement différent, (Martin 76) montre que l'on peut envisager l'antonymie soit en terme de négation, soit en terme d'inversion. Cependant, les confusions possibles à propos de la négation nous conduisent à préférer une vision moins synthétique mais plus « opératoire ».

4 La formulation que nous en donnons ici est approximative, pour deux raisons au moins. D'une part, l'équivalence représentée par le symbole <math>\Leftrightarrow</math> mériterait une définition précise. Il s'agit d'une équivalence paraphrastique, toujours délicate à garantir. D'autre part, comme on peut le voir avec les exemples donnés sous (XXX), les modèles donnés sont loin d'avoir la généralité nécessaire, et ne peuvent être vus que comme des exemples, des généralisations partielles.

Références

  • [Cruse, 1986] D. Alan Cruse. Lexical Semantics. Cambridge University Press, Cambridge, UK, 1986.
  • [Duchàcek, 1965] Otto Duchàcek. Sur quelques problèmes de l'antonymie. Cahiers de lexicologie, 6:55-66, 1965.
  • [Horn, 1989] Laurence R. Horn. A Natural History of Negation. The University of Chicago Press, Chicago, 1989.
  • [Kleiber, 1976] Georges Kleiber. Adjectifs antonymes : Comparaison implicite et comparaison explicite. TraLiPhi (Travaux de Linguistique et de Philologie), XIV(1) :277-326, 1976.
  • [Kocourek, 1982] Rotislav Kocourek. La langue française de la technique et de la science. Oscar Brandstetter Verlag, Wiesbaden, 1982.
  • [Lehmann et Martin-Berthet, 1998] Alise Lehmann et Françoise Martin-Berthet. Introduction à la Lexicologie. Sémantique et Morphologie. Lettres Sup. Dunod, Paris, 1998.
  • [Martin, 1976] Robert Martin. Inférence, antonymie et paraphrase. Klincksieck, Paris, 1976.
  • [Mounin, 1974] Georges Mounin. Dictionnaire de la linguistique. Presses Universitaires de France, Paris, 1974.
  • [Picoche, 1992] Jacqueline Picoche. Précis de lexicologie française. L'étude et l'enseignement du vocabulaire. Nathan, Paris, 1992.