Prédicat

De Sémanticlopédie
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par Laurent Roussarie


Le terme de prédicat recouvre un ensemble d'acceptions qui constitue presque un continuum s'étendant entre deux pôles: une acception essentiellement grammaticale et une acception essentiellement logique. Entre les deux, on peut trouver diverses acceptions intermédiaires où se superposent plusieurs caractéristiques grammaticales et logiques. Cet entrelacement terminologique provient en partie du fait que les deux « pôles » ont un ancêtre commun, qui remonte à Aristote. La présentation ci-dessous ne suit pas la chronologie épistémologique.

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Prédicat grammatical

La tradition grammaticale fait couramment usage du terme de prédicat avec la définition suivante :

Dans une phrase, on appelle prédicat ce que l'on dit au sujet de quelque chose.

Cette définition dépend de (et s'oppose à) celle de sujet (dans l'acception classique), qui est le « quelque chose » en question, c'est-à-dire ce dont on parle dans une phrase. Ainsi dans (1),

(1) Socrate était athénien.

Socrate est le sujet et était athénien le prédicat.

Fonction prédicat

Même si la définition n'est pas spécifiquement structurelle (elle avance un critère plutôt sémantique ou pragmatique, « ce qui est dit »), elle est étroitement liée au concept de phrase, en y identifiant deux rôles particuliers. Partant, la notion de prédicat semble renvoyer (au moins empiriquement) à une fonction syntaxique plutôt qu'à une catégorie de constituants. A cet égard, Chomsky (1965) définit la fonction prédicat de P comme étant la fonction assurée par le syntagme verbal directement dominé par P.

Mais comme il y a une corrélation générale (mais pas forcément universelle) entre cette fonction et le type de constituant qui peut la remplir, prédicat peut également servir à désigner, par exemple, les syntagmes verbaux. Chomsky définit d'ailleurs la catégorie Syntagme Prédicatif qui recouvre le syntagme verbal précédé de son auxiliaire et accompagné de ses éventuels circonstanciels. On considère généralement que le prédicat (ou ce qui le réalise) constitue l'élément essentiel et déterminant de la structure de la phrase, une caractéristique de la phrase étant de construire une relation entre (au moins) deux de ses parties, l'une disant quelque chose de l'autre. Cette relation est souvent nommée prédication. Notons que la question se pose de savoir précisément quels circonstanciels doivent être couverts par la fonction prédicative ; certains, tels que les adverbes de phrase (énonciatifs, évaluatifs, connecteurs), en semblant clairement exclus (cf. les entrées argument et modifieur).

La désignation peut aussi parfois se situer à une échelle plus analytique (ie moins syntagmatique et plus lexicale), et on qualifie alors de prédicat un verbe (tensé) accompagné de ses arguments (quand il en a) à l'exclusion de son argument externe (son sujet syntaxique). Certains usages font aussi abstraction de la flexion, projetant ainsi la notion au niveau des formes lemmatisées ; dans ce cas on dira que le prédicat de (1) est être athénien.

Il arrive également que, pour les constructions attributives, comme en (1), on qualifie de prédicat simplement le syntagme adjectival ou nominal, en excluant la copule1. Ainsi, athénien peut être considéré comme prédicat de (1).

Valeur informationnelle

La définition initiale permet donc de dériver une valeur syntaxique pour le terme de prédicat ; elle peut parallèlement donner lieu à une valeur communicationnelle (en fait plus ancienne que la valeur syntaxique présentée ci-dessus), ressortissant à la structure informationnelle ou l'organisation thématique. La notion de prédicat s'insère alors dans une partition de l'information, souvent conçue comme dichotomique, qui organise la phrase de manière possiblement orthogonale à sa structure syntaxique. Certaines approches définissent le prédicat comme l'unité la plus informative de la phrase (le sujet étant l'unité la moins informative). Il existe cependant plusieurs dimensions distinctes sur lesquelles peuvent se fonder diverses conceptions de la partion informationnelle (cf. l'entrée structure informationnelle). Il en résulte une pléthore terminologique (reflétant une variété de notions) qui peut induire certaines confusions. Ainsi il serait certainement impropre d'assimiler prédicat et focus (ou même focus informationnel). Parmi les variantes terminologiques (mais pas toujours équivalentes), on trouve propos, commentaire ou rhème, opposés à topique ou thème (ie le sujet). Cf. von Heusinger (1999) pour un panorama épistémologique.


Il est à noter que cette valeur informationnelle n'est pas sans rappeler la notion pragmatique d'acte de prédication définie par (Searle 1969) pour la théorie des actes de langage. L'acte de prédication est constitutif de l'acte propositionnel, qui est la construction d'un contenu sémantique, et il s'oppose alors à l'acte référentiel (cf. référence). Même si l'on s'écarte ici de la description grammaticale proprement dite, cette acception pragmatique s'appuie elle aussi sur la définition initiale de prédicat. Cependant, il faut remarquer que si l'on tient compte des valeurs illocutoires des phrases, la définition doit, en toute rigueur, être aménagée. En effet, si le prédicat est ce qui est dit (donc affirmé) au sujet de quelque chose, la définition s'applique mal aux phrases non assertives. Par exemple, en (2), était athénien n'est pas ce qui est dit de Socrate, mais précisément ce qui est questionné2.

(2) Est-ce que Socrate était athénien ?

Searle corrige ce problème en caractérisant la prédication comme suit : « l'énoncé [du prédicat] P revient à soulever la question de la vérité, ou de la fausseté, de P à propos de X (selon un certain mode illocutionnaire [...]) ».


Prédicat logique

Symbole de prédicat

Les prédicats sont à la base de la logique dite des prédicats (ou calcul des prédicats), qui permet d'analyser la structure logique des phrases plus finement qu'en logique des propositions. Ici un prédicat est d'abord un élément du langage logique formel, c'est-à-dire que le terme désigne une catégorie de symboles (on parle ainsi de symboles de prédicat). A ce titre, les prédicats se caractérisent par leurs propriétés formelles, c'est-à-dire combinatoires (ou syntaxiques).

Le propre d'un prédicat est d'abord d'accueillir des arguments (ici argument est pris au sens logique plutôt que grammatical, même si ces deux acceptions ne sont pas sans rapport). On appelle arité (ou valence) d'un prédicat le nombre d'arguments qu'il attend ; un prédicat donné a une arité fixe. Un prédicat à un argument est dit unaire (ou parfois singulaire) ou monadique ; un prédicat à deux arguments est dit binaire ou dyadique ; un prédicat à trois arguments ternaire ou triadique, etc.

Un prédicat en soi, constitue une expression incomplète (non saturée) : un prédicat, dès lors qu'il est muni de son/ses argument(s), est ce qui va produire une formule simple, c'est-à-dire une phrase simple (et affirmative) du système logique. Il est assimilable à ce qui est appelé, dans une terminologie russellienne (et fregéenne), une fonction propositionnelle.

Il n'y a pas de convention de notation complètement universelle, mais la plus courante consiste à accoler à un symbole de prédicat sa liste d'arguments entre parenthèses. Ainsi dans la formule (3), les constantes d'individus r et j sont données comme arguments du (symbole de) prédicat aimer :

(3) aimer(r,j)

On trouve également des notations de la forme Arj (lorsque les symboles sont représentés par un seul caractère, on peut, sans équivoque, faire l'économie des parenthèses).

Les prédicats font partie des constantes non logiques du langage formel, car leur dénotation est donnée par la fonction d'interprétation d'un modèle et elle est unique pour un modèle ou un indice donné.

Remarque: employer le terme de symbole de prédicat peut sous-entendre que le symbole et ce qu'il représente (donc un prédicat) sont distincts, et partant, que prédicat désigne une notion plus abstraite ou en tout cas extérieure au langage symbolique. D'où une possible extension sémantique du terme.

Prédicat en sémantique

Sémantiquement un prédicat exprime une propriété ou une relation, c'est-à-dire quelque chose d'attribuable à une ou plusieurs entités (en l'occurrence les arguments). En ce sens, on voit qu'on n'est pas très loin de la définition initiale donnée dans la section précédente, mais ici le clivage ne s'effectue pas seulement entre prédicat et sujet, lequel serait un argument privilégié selon la présente acception. De plus, l'attribution d'une propriété ne siège plus uniquement au niveau de la fonction syntaxique prédicative, elle peut être répartie à plusieurs endroits de la structure logique de la phrase.

En correspondance avec les langues naturelles, les prédicats servent donc classiquement à représenter la contribution sémantique notamment des verbes, des substantifs, des adjectifs et possiblement de certains adverbes et prépositions3. Par conséquent, l'analyse logique d'une phrase peut faire apparaître plus de prédicats (au sens logique) que ce que prévoit l'acception grammaticale. Par exemple, (4) a pour prédicat grammatical « a poussé dans la cour », mais fait intervenir quatre prédicats logiques : arbre, pousser, dans, cour.

(4) Un arbre a poussé dans la cour.
x [arbre(x) ∧ pousser(x) ∧ dans(x,℩y cour(y))]

Cette approche logique donne ainsi un statut de catégorie aux prédicats (il ne s'agit plus tant d'un rôle ou d'une position), car les symboles ou les termes qualifiés de prédicats le sont en vertu de propriétés dénotationnelles intrinsèques.

La dénotation d'un prédicat unaire est assimilable à un ensemble (ou une classe) d'objets (ceux qui vérifient la propriété exprimée), et celle d'un prédicat n-aire à un ensemble de n-uplets d'objets. Ces dénotations sont aussi implémentables sous forme de fonctions : un prédicat (n-aire) a ainsi la particularité de dénoter une fonction (à n arguments) se projetant dans l'ensemble des valeurs de vérité4.

Le sens d'un prédicat est l'ensemble des conditions qui déterminent sa dénotation pour tout état possible du monde, ce que l'on dénomme généralement par propriété ou relation.


Dans certains usages, le terme de prédicat s'emploie également pour nommer directement la dénotation du symbole (en particulier lorsqu'elle est manipulée en tant que fonction), parfois son sens, et aussi le matériau linguistique (généralement lexical) qui s'analyse sous la forme de prédicat formel.


Prédicat d'ordre supérieur

Un prédicat dénote une fonction d'un type précis, à savoir une fonction dont le codomaine est l'ensemble des valeurs de vérité (Frege 1891,1892). A cela s'ajoute traditionnellement une restriction sur le domaine de la fonction, c'est-à-dire sur le type des arguments : les arguments d'un prédicat dénotent des objets (ou individus); ils sont donc d'une nature différente des prédicats. Un prédicat qui ainsi n'accepte que des arguments individuels est dit prédicat du premier ordre (et fonde ainsi la logique prédicative du premier ordre, sustème formel le plus basique pour analyse logico-sémantique).

Mais techniquement, rien n'empêche d'envisager des prédicats dénotant des fonctions plus complexes définies sur d'autres ensembles, par exemples des ensembles de fonctions ou de valeurs de vérité. On parle alors de prédicat d'ordre supérieur. Dans le langage formel, un prédicat d'ordre supérieur prend en argument un ou plusieurs prédicat(s) (5) ou une ou plusieurs formule(s) (6) (et plus généralement, une ou plusieurs expressions ne dénotant pas un individu).

(5) prédicat2(prédicat1)(x)
(6) prédicat2(prédicat1(x))

Les modifieurs intensionnels (comme faux, ancien), les verbes d'attitude propositionnelle (croire, affirmer) peuvent s'analyser sous la forme de prédicats d'ordre supérieur. De même les connecteurs logiques, si on décide de les manipuler de manière catégorématique, peuvent être représentés comme des prédicats de phrases, même si la tradition les traite habituellement comme des symboles syncatégorématiques (des constantes logiques).

En fait, l'usage du terme prédicat en logique et en sémantique formelle reste tributaire de la propriété formelle mentionnée supra : on appelle normalement prédicat ce qui correspond à un symbole atomique (une constante). Ainsi un quantificateur généralisé, même s'il dénote une fonction à valeur de vérité, n'est généralement pas compté au nombre des prédicats.


Notes

1 Voir à cet égard la terminologie anglo-saxonne où predicative adjective se traduit en français par adjectif attribut.

2 En revanche, cela ne pose pas de problème pour la définition syntaxique (ie structurelle).

3 Dans cette perspective, il ne reste d'ailleurs plus guère que les noms propres et les symboles logiques (connecteurs, quantificateurs) à échapper à l'analyse sous forme de prédicats.

4 Frege (1891,1892) nomme concept la dénotation d'un prédicat. Fonction et concept sont étroitement liés chez Frege, suivant la définition donnée ici.

Références

  • Chomsky, N. (1965). Aspects of the Theory of Syntax. MIT Press, Cambridge, MA. Trad. fr. Aspects de la théorie syntaxique, Paris : Seuil, 1971.
  • Frege, G. (1891). Über Funktion und Begriff. Iena. Trad. fr. Fonction et concept, in Ecrits logiques et philosophiques (pp. 80-101), Paris : Seuil, 1971.
  • Frege, G. (1892). Über Begriff und Gegenstand. Vierteljahreszeitschrift für wissenschaftliche Philosophie, 16:192-205. Trad. fr. Concept et objet, in Ecrits logiques et philosophiques (pp. 127-154), Paris : Seuil, 1971.
  • Gamut, L. T. F. (1991). Logic, Language, and Meaning. Volume 1: Introduction to Logic. University of Chicago Press, Chicago.
  • von Heusinger, K. (1999). Intonation and Information Structure. Habilitationsschrift, Universität Konstanz (url).

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