Métaphore

De Sémanticlopédie
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par Véronique Moriceau et Patrick Saint-Dizier


Situation

La métaphore a été considérée dans le passé comme une figure de rhétorique qui consiste à désigner une entité, un état ou un événement au moyen de termes qui en désignent un autre. Cependant, des travaux plus récents ont montré que le système de métaphores conceptuelles structure fortement notre système conceptuel. Ainsi, quand nous parlons d’un argument solide ou des fondements d’une théorie, nous concevons indirectement les termes arguments et théorie, de nature épistémique, comme des éléments concrets, des bâtiments. La métaphore consiste souvent à utiliser des termes de domaines concrets (ceux ici des constructions concrètes) et à les transposer vers des domaines plus abstraits pour lesquels il n’y a pas de terme qui existe. Outre l’économie de vocabulaire qui en découle, la métaphore aide l’homme à mieux exprimer par des termes concrets des conceptualisations complexes sur des termes abstraits : les sentiments, la conscience, etc. Les métaphores jouent un rôle essentiel dans la construction de la réalité sociale, culturelle, intellectuelle.


Définition informelle

De façon plus formelle, la métaphore peut être analysée comme un système de correspondances partielles (isomorphies) entre un domaine source (le référent) et un domaine cible (le référé), avec préservation globale de la signification. Selon (Lakoff et Johnson 99), ces systèmes sont assez bien structurés, stables et fortement récurrents. Les domaines cible et source sont souvent structurés par des ontologies. Nous pouvons donc raisonner sur le domaine cible en utilisant les connaissances et les inférences propres au domaine source.

Si nous prenons la correspondance Le temps vu comme de l’argent, nous pouvons alors parler du temps comme nous le faisons de l’argent, avec une bonne préservation des sens et inférences. Nous avons schématiquement le système de correspondances suivant :

argent <math>\Rightarrow</math> temps,
but nécessite de l’argent <math>\Rightarrow</math> but nécessite du temps
valeur de l’argent <math>\Rightarrow</math> valeur du temps, etc.

On comprend alors parfaitement des expressions telles que : gagner du temps, économiser son temps, gaspiller son temps, combien de temps me reste-t-il ? Le dernier exemple montre que le temps vu comme de l’argent peut être étendu, parfois, au ‘temps vu comme une ressource concrète’. Cette utilisation de domaines concrets pour des opérations abstraites est l’un des aspects de la dynamique créative du langage.


Métaphore et catégorisation

Pour vivre et communiquer, les humains doivent catégoriser. Ces catégories sont formées à partir de nos expériences physiques concrètes. Elles structurent la façon dont nous différencions les entités. La catégorisation est donc une tâche qui a des racines profondément ancrées dans nos expériences concrètes individuelles et collectives.

Les correspondances métaphoriques ne sont donc pas le fruit du hasard. (Lakoff et Johnson 99) montrent que le raisonnement abstrait (ainsi, du reste, qu’une bonne partie de la démarche intellectuelle et philosophique) est fondé sur l’expérience concrète, essentiellement liée à la perception et au corps. La cohérence des catégories et des correspondances est assurée par la structure rationnelle (postulée ou observée) du monde concret, exprimée, par exemple, par les lois de la physique. Cette structure est souvent postulée être indépendante des particularités de l’esprit humain. Les catégories sont elles-mêmes hiérarchisées, des catégories de base (issues directement de la perception ou de l’expérience directe tel que le mouvement) vers des catégories composées, plus abstraites.

Il est important de bien noter que les métaphores conceptuelles autorisent globalement les mêmes types de raisonnements sur le domaine cible que ceux qui peuvent être faits sur le domaine source. La correspondance La vie vue comme un voyage, qui caractérise une certaine vision de la vie, autorise l’application des mêmes types de raisonnements que ceux employés pour un voyage. On y trouvera alors, situés par isomorphie dans l’ontologie de la vie, des destinations, des impasses, des retours, des véhicules, etc. Un certain nombre de sous-types ou parties de la vie pourront être traitées de la même manière, par exemple la vie professionnelle.

Ce procédé n’est pas systématique, il est lié à des propriétés ontologiques de l’objet cible, pas toujours immédiates à identifier, mais que l’humain gère à merveille (de la même manière qu’il gère la syntaxe de sa langue à partir d’un ensemble limité d’exemples).


Une classification des métaphores

Il existe trois types de métaphores : les métaphores conventionnelles (celles présentées ci-dessus), les métaphores images et les métaphores génériques.

Les métaphores images associent une image unique à une autre image. Le principe consiste à attribuer à un concept les propriétés d’un autre (telles que la taille, la forme, la couleur). Lorsque l’on parle de la taille de guêpe d’une femme, on associe à cette image celle de la taille, fine, d’une guêpe. Les métaphores génériques permettent d’établir une relation entre une structure spécifique, plus simple à appréhender, et une structure générique.

Ces métaphores font appel à notre capacité d’inférer le générique à partir du spécifique. C’est le cas, par exemple, de l’interprétation de proverbes tels que Après la pluie le beau temps, ou Jouer avec le feu. Enfin, il reste quelques situations de personnification d’une entité telle que Sa religion le lui interdit. Cette dernière est, du reste, à la limite entre métaphore et métonymie.


Métaphore et polysémie

Les métaphores sont très fréquentes dans la langue usuelle, et il arrive que la métaphore soit plus fréquemment rencontrée que l’usage d’origine. Nous nous trouvons alors à une frontière entre métaphore (= usage dérivé) et polysémie (= nouvel usage, ou usage qui a atteint une autonomie suffisante pour être détaché de sa source). Dans ce dernier cas, la métaphore peut évoluer indépendamment et acquérir des propriétés supplémentaires. Ce peut être le cas, par exemple, de un étudiant brillant, où, outre les qualités extérieures assimilées au brillant, cet usage se focalise sur les causes du brillant, à savoir les capacités intellectuelles. Brillant, dans ce contexte épistémique, peut être considéré comme un sens à part entière, élaboré à partir d’une métaphore. A l’inverse, un usage métaphorique usuel dans le passé peut tomber en désuétude et avoir un taux de régularité faible. Il peut devenir dans ce cas une forme figée ou semi-figée, que l’on interprétera indépendamment de la métaphore.

Au niveau de la construction des métaphores, on distingue des métaphores primaires, de bas niveau, acquises très tôt, et des métaphores complexes, composées à partir de plusieurs métaphores primaires. Ainsi, on peut combiner : les buts comme des destinations et les actions comme des déplacements pour obtenir la métaphore du voyage : atteindre un but vu comme un voyage.

Pour terminer, voici quelques exemples supplémentaires, très récurrents, de correspondances métaphoriques :

  • Métaphores d’orientation : le mieux est vers le haut ou vers l’avant, le négatif est vers le bas ou vers l’arrière (les résultats régressent, je coule).
  • Métaphores dans le domaine psychologique : qui est important vu comme gros, l’intimité ou la similarité vu comme une proximité (une amie proche), l’affection vue comme la chaleur (un ami chaleureux).
  • Métaphores générales : une organisation vue comme une structure physique, des états comme des lieux, le changement vu comme le mouvement, savoir vu comme voir ou comme entendre (j’entends bien ce que vous dites), etc.


Les métaphores se construisent sur un grand nombre de catégories syntaxiques

On trouve des métaphores sur la plupart des catégories syntaxiques. Elles peuvent être des adjectifs : des idées larges, une théorie solide, des noms : les fondations d’une théorie, un verbe : les prix grimpent, les société avance, ou bien encore une préposition : dans l’informatique.

Dans certains de ces cas, nous sommes confrontés au caractère fortement polysémique des adjectifs (ex. bon) et des prépositions. En d’autres termes, doit-on postuler un grand nombre de métaphores construites à partir d’une source-noyau, ou avons-nous un multitude, presque infinie dans certains cas, de sens/usages, reliés éventuellement par des éléments partagés, tels que des sèmes ?


Quelques éléments de modélisation

Les métaphores ont fait l’objet de nombreux travaux en linguistique, mais aussi en sciences cognitives, en neurolinguistique, et en anthropologie. Elles sont encore peu intégrées à ce jour dans des cadres formels de la linguistique. En général, les métaphores sont traitées par le biais de règles de coercion de type : lorsqu’un objet linguistique n’a pas le type attendu par les constituants qui l’entourent ou le sous-catégorisent, une stratégie est de tenter de dériver son type en un nouveau type. Pour cela, des règles de changement de type sont définies au cas par cas, tout en étant postulées avoir un certain degré de généralité, contrôlé par des restrictions sur les termes sous-catégorisants.


Quelques références

Les quelques éléments de bibliographie ci-dessous peuvent aider le lecteur à approfondir ses connaissances sur ce thème riche en implications cognitives et philosophiques.

Kleiber, G. (1999), Problèmes de sémantique : la polysémie en question. Presses Universitaires du Septentrion.

Jackendoff, R., (1990), Semantic Structures. MIT Press.

Lakoff, G., (1992), The Contemporary Theory of Metaphor, in Ortony, A. (ed.) Metaphor and Thought (2nd edition). Cambridge University Press.

Lakoff, G. & Johnson, M. (1980), Metaphors We Live By. The University of Chicago Press.

Lakoff, G. & Johnson, M. (1999), Philosophy in the Flesh. Basic Books.

Reddy, M. (1979), The Conduit Metaphor, in Ortony, A. (ed.) Metaphor and Thought. Cambridge University Press.

Voir aussi le site: http://www.info-metaphore.com/