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Par ailleurs, la présence de deux quantificateurs de types distincts ne suffit pas à générer une [[ambiguïté]]. Il est des cas où l'une des deux interprétations est privilégiée, et même des cas où c'est la seule possible. Les exemples suivants illustrent le cas de lecture par '''portée inversée''', i.e. le cas de phrases dans lesquelles l'interprétation la plus naturelle (cf. (13)a-b), voire la seule possible (cf. (13)c), est celle où la portée ne correspond pas à l'ordre d'apparition des expressions quantifiées, mais inverse cet ordre.
 
Par ailleurs, la présence de deux quantificateurs de types distincts ne suffit pas à générer une [[ambiguïté]]. Il est des cas où l'une des deux interprétations est privilégiée, et même des cas où c'est la seule possible. Les exemples suivants illustrent le cas de lecture par '''portée inversée''', i.e. le cas de phrases dans lesquelles l'interprétation la plus naturelle (cf. (13)a-b), voire la seule possible (cf. (13)c), est celle où la portée ne correspond pas à l'ordre d'apparition des expressions quantifiées, mais inverse cet ordre.
 
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Version du 6 juillet 2006 à 10:11

par Claire Beyssade

Portée

Le terme de portée est utilisé en linguistique pour désigner le domaine sur lequel un opérateur fait effet. On parle en particulier de la portée de la négation, des quantificateurs, de la coordination, des mots interrogatifs, des opérateurs temporels et modaux...

Pour distinguer par exemple les trois interprétations de la phrase (1), on dit qu'en (2)a, la négation a portée sur tout le reste de la phrase, alors qu'en (2)b, elle porte sur Marie et en (2)c sur hier.

(1) Je n'ai pas vu Marie hier.
(2) a. Il est faux que j'aie vu Marie hier.
b. Ce n'est pas Marie que j'ai vue hier.
c. Ce n'est pas hier que j'ai vu Marie.

Pour rendre compte du contraste entre négation de phrase et négation de constituant, on cite souvent l'exemple (3) dû à Russell, et les deux interprétations (4)a et b qui lui sont associées :

(1) L'actuel roi de France n'est pas chauve.
(2) a. Il est faux que l'actuel roi de France soit chauve.
b. L'actuel roi de France est tel qu'il n'est pas chauve.

Si l'ambiguïté de (3) est une ambiguïté de portée, ce qui est en jeu, ce n'est pas simplement la portée de la négation, mais plus précisément les portées respectives de la négation et de la quantification existentielle, introduite par la description définie l'actuel roi de France1. Ceci apparaît très clairement sur les formules logiques (4')a-b associées respectivement à (4)a-b :

(4') a. ¬(∃x Actuel-Roi-de-France(x) ∧ Chauve(x))
b. ∃x (Actuel-Roi-de-France (x) ∧ ¬Chauve(x))

La co-occurrence de plusieurs opérateurs dans une même phrase peut donc générer des ambiguïtés de portée : il s'agit alors de portée relative. Les exemples (5)-(7) illustrent des cas d'ambiguïté de portée entre temps et modalité, quantification et question, quantification et modalité. Les deux interprétations possibles sont glosées en (5')–(7') :

(5) Il pleuvra nécessairement demain.
(5') a. Il est nécessaire aujourd'hui qu'il pleuve demain.
b. Demain, il sera nécessaire qu'il pleuve.
(6) A qui va-t-on tout donner ?
(6') a. Pour chaque chose, à qui va-t-on la donner ?
b. A quelle personne va-t-on donner le tout ?
(7) Tout le monde peut venir.
(7') a. Chaque personne prise individuellement peut venir.
b. Il est possible que tout le monde vienne ensemble.

Ajoutons l'ambiguïté entre lecture de re / de dicto dans les contextes d'attitudes propositionelles, illustrée par (8), qui s'analyse aussi comme un problème de portée : (8')a correspond à la lecture de dicto : le GN est sous la portée du verbe d'attitude croire, les termes mêmes de la description indéfinie sont attribués à Jean. La lecture de re correspond à la paraphrase (8')b, le GN est analysé comme n'étant pas dans la portée du verbe d'attitude.

(8) Jean croit qu'un étudiant de cette classe a triché.
(8') a. Jean croit que quelqu'un a triché et il croit que c'est un étudiant de cette classe.
b. Il y a un étudiant de cette classe dont Jean croit qu'il a triché.

On ne parle de portée que pour ce qu'on analyse comme un opérateur. Quand une phrase comporte plusieurs opérateurs, se pose alors la question de leur portée respective. On a essayé, en grammaire générative, de rapprocher les notions de portée et de commande, en disant qu'un opérateur a portée sur ce qu'il c-commande. S'il est vrai que dans des exemples comme (9), l'adverbe a portée sur ce qu'il commande, il nous semble important néanmoins de bien garder à l'esprit que les questions de portée relèvent de la sémantique alors que la commande est un phénomène syntaxique. Aussi, contrairement à ce qu'on trouve quelquefois, on n'analysera pas l'ambiguïté de (10) comme une ambiguïté de portée, mais on préférera parler d'attachement syntaxique pour l'adjectif plutôt que de portée de l'adjectif.

(9) Probablement, Jean habite à Paris.
(10) Laissez passer d'abord les enfants et les femmes malades.
(10') a. Laissez passer d'abord les enfants malades et les femmes malades.
b. Laissez passer d'abord les femmes malades et les enfants.

Portée des quantificateurs

a) Portée large / portée étroite / portée inversée

Pour rendre compte du sens d'une phrase, on peut lui associer une formule du calcul des prédicats. On sait que si Φ est une formule bien forméee, alors ∀x Φ et ∃x Φ le sont aussi et Φ est appelé la portée du quantificateur. Puisque le langage du calcul des prédicats est récursif, rien n'empêche que Φ comporte déjà d'autres quantificateurs. Dans ce cas, ils sont eux-mêmes dans la portée du quantificateur.

Dans le calcul des prédicats, l'ordre dans lequel les quantificateurs apparaissent reflète toujours leur portée, ce qui n'est pas le cas de l'ordre d'apparition des expressions quantifiées dans les langues naturelles comme le français. Ainsi, une phrase comme (11) est ambiguë, à la différence des formules (11') a et b, qui permettent de lever l'ambiguïté de (11).

(11) Tout le monde admire quelqu'un.
(11') a. ∃y ∀x (Humain(y) ∧ (Humain(x) → Admire(x,y)))2
b. ∀x ∃y (Humain(y) ∧ (Humain(x) → Admire(x,y)))

En (11')a, on a interprété la phrase (11) en donnant portée large au quantificateur existentiel et portée étroite au quantificateur universel, et inversement, l'interprétation correspondant à (11')b correspond à une lecture de (11) avec portée large de l'universel et portée étroite de l'existentiel. Les deux interprétations ne sont pas équivalentes. Néanmoins, on doit souligner que l'une implique l'autre - (11)a implique (11)b -, mais pas l'inverse. S'il existe un homme que tout le monde admire, alors tout le monde admire quelqu'un, cet homme-là. En revanche, si tout le monde admire un homme, il peut s'agir pour chacun d'un homme différent et dans ce cas-là, (11)a n'est pas vérifié. En (11)a, l'homme admiré doit être le même pour tous, alors qu'en (11)b, chacun peut admirer un homme différent.

Les ambiguïtés de portée peuvent apparaître dès qu'on a deux quantificateurs distincts (un universel, et un existentiel) dans une même phrase. En revanche, quand il s'agit de deux quantificateurs de même nature, deux universels ou deux existentiels, l'ordre est sans pertinence : on peut bien distinguer deux formes logiques, comme (12') a et b, mais elles ont la même interprétation. La quantification se fait sur un ensemble de paires.

(12) Tout le monde aime tout.
(12') a. ∀x ∀y (Humain(x) → Aime(x,y))
b. ∀y ∀x (Humain(x) → Aime(x,y))

Par ailleurs, la présence de deux quantificateurs de types distincts ne suffit pas à générer une ambiguïté. Il est des cas où l'une des deux interprétations est privilégiée, et même des cas où c'est la seule possible. Les exemples suivants illustrent le cas de lecture par portée inversée, i.e. le cas de phrases dans lesquelles l'interprétation la plus naturelle (cf. (13)a-b), voire la seule possible (cf. (13)c), est celle où la portée ne correspond pas à l'ordre d'apparition des expressions quantifiées, mais inverse cet ordre.

(13) a. Un spécialiste relira chaque papier.
b. Un guide accompagnera chaque visiteur.
c. Il y a une étiquette à côté de chaque assiette.